mercredi, octobre 24, 2007

PHILIP K. DICK ULTRAVIVANT


Tout le monde connaît les adaptations plus ou moins réussies des romans de Philip K. Dick, Blade Runner, Minority Report, Total recall. On ne saurait que trop conseiller de se plonger sans modération dans une œuvre foisonnante, certes, inégale, parfois, mais toujours déstabilisante, prophétique et profondément humaine. “Ubik”, “Substance Mort”, “Le maître du Haut-Château”, “Le Dieu venu du Centaure”, “L’invasion divine”, autant de chef-d’œuvres qui vous feront regarder le monde qui vous entoure d’un autre œil.
Qu’est-ce qui est réel dans ce que Je perçois ? Notre cerveau est une entitée abreuvée d’informations par nos sens mais existe-t-il une interface susceptible de se glisser entre eux ? Est-il possible de contrôler, de modifier le flux informationnel qui va de l’un à l’autre ? En ce cas, quelle est la véritable nature de la RÉALITÉ ? Le cerveau de Philip K. Dick aurait dû durer cent mille ans - dixit l’un de ses éditeurs - et Dieu sait ce qu’il aurait été capable de produire dans son “anticipation psychologique du futur” (cf l’excellent documentaire de Thomas Cazals, “Adickted”).
“Glissement de temps sur Mars” est un roman “dickien” typique. Jack Bohlen est réparateur sur Mars, planète aride récemment colonisée par les Terriens en manque d’espace. L’espèce autochtone - les Bleeks à la peau noire, en fait une branche de l’humanité - est quasiment réduite en esclavage, ou condamnée à errer dans le désert martien. Bohlen souffre de schizophrénie, comme de nombreux humains, maladie de l’incommunicabilité générée par les structures mêmes de la société terrienne reproduite sur Mars. Il va être amené à construire une machine à communiquer avec les autistes, en l’occurence un jeune garçon, Manfred Steiner, qui a la capacité de lire l’avenir, et que l’employeur de Bohlen veut contrôler pour de sombres raisons spéculatives.
Le génie de Dick consiste à vous faire entrer dans les cerveaux de Bohlen et de Manfred. Manfred qui voit ses interlocuteurs tels qu’ils seront lorsque la mort les aura RONGÉS, des amas de tissus en décomposition, des organes en déréliction, il se voit lui-même à la fin de sa vie, homme-machine, “assemblage de pompes, de tuyaux, de cadrans; toute une machinerie cliquetante qui déployait une activité continuelle” et revient dans le passé voir sa mère horrifiée par cette CHOSE qui l’appelle MAMAN.
Quant à Bohlen le contact avec le jeune garçon ravive sa schizophrénie et il perd complètement la notion du TEMPS. Dick revient plusieurs fois sur la même scène, variant les points de vue, scannant à chaque fois avec acuité les cerveaux de ses personnages. Au final, vous ne verrez plus jamais les gens qui vous entourent de la même manière et vous vous défierez des informations que vous procurent vos sens. Et vous aurez sans doute raison.

Philip K. Dick, “Glissement de temps sur Mars”, Robert Laffont, 1981. Titre original : “Martian time-slip” (1964)

Richard F. Tabbi - droits réservés.

DJIAN, TOUJOURS.


Que dire sinon que j’ai encore une fois reçu une leçon d’écriture en lisant Philippe Djian ?
“Impuretés” est paru en 2005, c’est du grand Philippe Djian, du très grand. Au centre de ce roman, Evy, jeune garçon de quinze ans, vivant dans un environnement privilégié. Un père écrivain. Une mère actrice. Un quartier résidentiel, de grandes villas avec des piscines, des salles de remise en forme, des fêtes, de l’argent, rien qu’apparemment on ne puisse se refuser. Oui mais. La sœur d’Evy est morte noyée dans des circonstances mystérieuses. Le père d’Evy est un ancien junkie qui a foutu sa carrière d’écrivain en l’air. Sa mère n’hésite pas à coucher avec un producteur pour relancer sa carrière. L’impureté, partout autour de lui, cerne Evy. Par conséquent, la pureté ce serait peut-être d’aimer sans polluer cette relation avec le sexe, le physique, la sueur, les odeurs, l’hormonal. La pureté, ce serait aimer la meilleure amie de sa sœur défunte sans la pénétrer, en lui fournissant la poudre qui selon lui la maintient en-dehors du monde des adultes, dans ce paradis diaphane qu’Evy tente de tenir à bouts de bras.
Chronique de l’errance d’une adolescence déboussolée, souffrance terrifiante et muette des enfants à qui les adultes ne font pas de cadeau, englués dans leur irresponsabilité, soumis aux tentations imposées par leurs egos, enchaînés à une déconcertante facilité qui entraîne ce monde dans un tourbillon qui ne peut finir qu’au fond d’un gouffre.
Un livre d’une incroyable beauté, inondé d’une lumière aveuglante qui rend les choses et les gens flous jusqu’à la dissolution.

RICHARD F. TABBI - DROITS RÉSERVÉS.

Philippe Djian, Impuretés, Gallimard, 2005

samedi, octobre 20, 2007

BENACQUISTA, JONQUET, MANCHETTE : BACK IN BLACK


Rentrée littéraire ? Bof, restons dans l’apériodique, l’inactuel, l’a-commercial, l’hommage, pourquoi pas ?
D’abord Tonino Benacquista que je n’avais jamais lu. Tonino Benacquista est une référence du roman noir, adapté à plusieurs reprises au cinéma avec plus ou moins de bonheur (“Les morsures de l’aube”, “l’Outremangeur”), scénariste et ami de Bertrand Blier (“Sur mes lèvres” et “De battre mon cœur s’est arrêté”, deux films extraordinaires pour le coup). La collection Folio Policier a eu la bonne idée de publier ses quatre premiers romans noirs dans un recueil. “La maldonne des sleepings” (Gallimard, 1989), “Les morsures de l’aube” (Rivages, 1992), “Trois carrés rouges sur fond noir” (Gallimard, 1990), “La commedia des ratés” (Gallimard, 1991). Quatre romans, quatre petits chef-d’œuvre, Benacquista a le don de la narration, ouvrez un de ses bouquins et vous ne pourrez plus vous arrêter. Prenez “La maldonne des sleepings”. Un huis-clos dans le Paris-Venise, les quelques heures que durent l’aller-retour, rien d’épique, et pourtant. Benacquista s’est servi à la perfection de sa propre expérience pour bâtir un roman qui tient avant tout par le style. Ils ne sont pas nombreux dans ce cas, Céline disait qu’il n’avait rien à faire des histoires, qu’il y en avait plein les journaux, et Benacquista a retenu la leçon. Le lecteur est suspendu à son Verbe. Dans “Les Morsures de l’aube”, qu’y-a-t-il de remarquable ? Le personnage d’Antoine, parasite mondain ? Les vrai-faux vampires Jordan et Violaine ? L’univers de la nuit et ses videurs, ses petites frappes ? Non, ce qui est remarquable, c’est la manière dont Tonino Benacquista vous embarque, la manière avec laquelle il arrive à vous faire oublier que vous lisez. Dans “Trois carrés rouges” etc. vous vous piquerez de billard et de peinture contemporaine même si ça n’est pas votre tasse de thé. Parce que ce diable de Benacquista n’a pas son pareil pour construire un univers et vous y entraîner. Et que dire de la virée au cœur de l’Italie de “La Commedia des ratés” ?
Fiez-vous au jugement d’un rital, un type qui est capable d’insérer de cette manière la recette des pâtes all’arrabiata dans un livre n’est pas n’importe qui. Décidément le lycée Romain-Rolland d’Ivry sur Seine a produit de sacrés cracks.

Tonino Benacquista, quatre romans noirs, Gallimard, 2004, coll. Folio policier.


Restons dans le Noir avec “Mygale” de Thierry Jonquet.
L’un des livres les plus effrayants qu’il m’ait été donné de lire. Un puzzle abyssal qui se met en place de manière implacable, un livre court, mais d’une densité irréelle où se mêlent sadomasochisme, transsexualité et vengeance. Un livre venimeux, déstabilisant pour le lecteur qui s’ordonne autour de quelques éléments, une femme recluse, un chirurgien plasticien, un gangster en cavale, et qui multiplie les voix, les points de vue jusqu’au vertige. Qui est cet être capturé comme un animal et traité comme tel au fond d’un cage par “Mygale” ? Mygale qui lui apporte sa nourriture dans une gamelle pour chien, qui le tient attaché, qui le laisse uriner, déféquer, littéralement pourrir dans cet espace clos.
Séquestration. Destruction de la personnalité, de son essence physique. Terrifiant.

Thierry Jonquet, Mygale, Série Noire, 1984


Dans la galaxie du Noir comment ne pas rendre hommage à Jean-Patrick Manchette, qui me fut chaudement recommandé à l’époque où je vivais au Havre, ville éminemment littéraire, théâtre idéal de cette littérature en contrepoint du jour qui hante la Série Noire.
“Fatale” est aussi un court roman d’une densité stupéfiante. Bléville, ville imaginaire, image de la france des années soixante-dix, avec ses notables, notaires, industriels, médecins, ses exclus(un noble déclassé considéré comme fou, bien que profondément lucide sur la pourriture qui ronge l’os du pouvoir et de l’argent - tiens, tiens) et cette étrange tueuse, qui débarque, décidée à “les faire payer”.
Manchette était un géant, l’héritier français de Hammett et Chandler, et personnellement je me fiche de la sauce révolutionnaire qui imprègne ses livres. L’important, à mon sens, n’est pas là. Encore une fois c’est la littérature qui gagne, et, finalement, la lecture marxisante et moraliste de l’intrigue - faire payer ces salauds de riches pour leurs magouilles, leur vie dissolue - est un peu simpliste. Dommage parce que l’écriture est à la hauteur et que ce livre reste suspendu dans une intemporalité qui n’a d’égale que la noirceur des personnages mis en scène. On se fout bien du pourquoi Aimée - la tueuse - agit, mais on s’intéresse prodigieusement au comment.
L’art gagnerait parfois à plus d’humilité, à ne pas se fourvoyer dans le mélange des genres. Cela étant posé, retirez la gangue bien-pensante qui enserre une bonne partie de la production contemporaine et il ne vous restera rien entre les mains. Chez Manchette, c’est un joyau pur, aveuglant, qui subsiste. Et “bien-pensant” ne fait pas partie de son vocabulaire.

Jean-Patrick Manchette, Série Noire, 1977.

Richard F. Tabbi - droits réservés.

mardi, juin 26, 2007

NOTES DE LECTURE : AMERICAN DEATH TRIP DE JAMES ELLROY


Pete Bondurant est de retour. Bonne nouvelle. Tout comme Ward Littell. Le cœur des années 60 aux USA. Le dernier voyage de Kennedy à Dallas. Tous ces mecs en cheville avec la mafia, le FBI, le klu klu klan. De Las Vegas au Viet Nam. Où l’on croise le puissant J. Edgar Hoover, le “comte drac” Howard Hughes, Rock Hudson pour l’envers de la camera, l’immense et rousse et belle Barb, épouse du Grand Pete, mauvaise chanteuse, camée depuis qu’elle a compris ce qui s’était passé à Dallas, depuis qu’elle a compris ce qu’était le bourbier vietnamien, boucherie & narcotrafik.
AMERICAN DEATH TRIP est le second volet de la trilogie UNDERWORLD USA d’Ellroy, la suite d’AMERICAN TABLOÏD. La CAUSA CUBANA a toujours partie liée avec la CAUSA NOSTRA, les micros sont toujours planqués dans les chambres d’hôtel pour espionner les frasques sexuelles de Martin Luther King ou les aventures homosexuelles d’acteurs en vue. De quoi nourrir les pires pages de “L’indiscret”, de quoi donner à Hoover, chef redouté du FBI, de quoi tirer sur les laisses qu’il s’ingénie à passer autour des cous, de quoi attirer les mouches dans sa toile d’araignée. Bienvenue dans les égoûts étatsuniens, vaste réseau, bienvenue dans le royaume des rats, crocs, griffes & queues démesurées. La politique, putes, macs tantouzes. La politique, casinos, hôtel, compagnies de taxis. La politique, came, came, came. Transit Saïgon-LA par avion militaire, tout le monde en croooooooque. Hoover contrôle le klan, Hoover tente de contrôler les militants pour les droits civiques, Hoover voue une haine inextinguible à Bobby Kennedy. Pete perd le contrôle de la came, Pete passe ses nerfs sur les FIDELISTOS, expéditions maritimes, livraisons d’armes, scalps accrochés au bateau, rêve de Reconquista, pour la CAUSA, pour la CAUSA NOSTRA. Pete est secondé par Wayne Tedrow, Wayne dont la femme a été violée et éviscérée par un Noir, Wayne qui a passé sa vie à s’opposer à son père, raciste convainku, Grand Financeur du Klan, Wayne transformé en fantôme, Wayne qui voit désormais en chaque Noir l’assassin de sa femme. Amerika, Amerika, le Grand Merdier, 951 pages sans reprendre haleine. Un bouquin qui fera référence dans 200 ans.

Richard F. Tabbi

James ELLROY, American Death Trip, 2001, Rivages / Noir, trad. JP Gratias

lundi, juin 25, 2007

INTERVIEW DE RICHARD F.TABBI DANS LE NUMÉRO 66 DES "IMPRESCRIPTIBLES"


RICHARD F. TABBI : UN ÉCRIVAIN EN ENFER
interview par JC Dennis (extrait)
numéro 66 de la revue LES IMPRESCRIPTIBLES - été 2007

JC DENNIS : Richard F. Tabbi, pourquoi ce “F”, pourquoi Richard “F” Tabbi ? Pour vous la jouer AMÉRICANO comme Francis S. Fitzgerald, Philip K. Dick, Jerome D. Salinger ? Ou français pro-américain comme Maurice G. Dantec ? Ça sent pas un peu la frime, ça ?

RICHARD F. TABBI : Ouais, j’aurais pu choisir Richard “juste” Tabbi comme Richard Brautigan ou Jim Harrison, notez. Quant à Maurice “Georges” Dantec, je crois qu’il porte les stigmates de l’engagement communiste de ses parents. Pour ma part ce “F” est le seul lien que j’aie jamais eu avec feu mon grand-père, Francesco, un sicilien qui comme tant d’autres a quitté son île après la guerre pour venir travailler en France. Il est mort trop tôt, je ne l’ai pour ainsi dire pas connu. Et j’ai reçu son prénom sur les fonds baptismaux. Bref, pour un mec comme moi qui écrit des livres, fils de peintre en bâtiment, petit-fils d’immigré qui a sué sang et eau sur le chantier de reconstruction de la gare Saint-Charles à Marseille, c’est une manière de ne pas oublier d’où je viens. Une manière de rendre hommage à ceux qui ont travaillé de leurs mains (soit mon grand-père et mon père) pour faire de moi ce que je suis. Contrairement à ce que disent certains l’immigration n’est pas une “chance pour la France”, ni une malchance, d’ailleurs, c’est juste un fait géographico-économique. Qui porte avec lui des histoires d’hommes, de femmes, de chair, de sang. Des histoires intimes.
Voilà une photo de mon grand-père, prise dans les années 30 vraisemblablement. C’est le premier en partant de la gauche. Regardez. Regardez bien. Et vous parlez de “frime” ?

-reproduction des textes & photos interdits-

ÉGLISE, TERRE D'ASILE


Église, terre d’asile. Jane Vagin d'Enfer tassée dans le canapé, sa tête posée sur le contenu d'un cendrier renversé. Enfermé avec ma trouille, à perdre connaissance et à me réveiller comme on échappe à la noyade. Cheveux. Cendres. Pas de respiration perceptible. Je scanne le plafond. Pas de messe ce jour-là, Dieu déserte les campagnes au rythme de l’exode rural, j’étais seul, seul avec Le Crucifié, seul avec les images de ces femmes crucifiées, seul avec les obsessions de Vic La Vey. Les pales du ventilateur. Je m'efforce de suivre jusqu'à ce que la nausée m'oblige à fermer les yeux. Les tueurs. Planqué dans le confessionnal. Fausse alerte aux touristes scandinaves. Je laisse retomber mon corps sur la moquette. Allongé, ma colonne vertébrale frottant contre le ciment dur. Moquette fine, bon marché. Les montagnes ont leurs secrets. Forêts, éboulements de pierre calcaire, chêne-liège. Armoise, chevreuils dans le disque d’or de la lune. Je les observais au travers des interstices du bois. Appartement pourri. Quartier pourri. Ne plus sortir. Sauf lorsque je suis équipé. Un type m'a proposé un Derringer, j'y pense, réunir la somme, faudrait... Une famille salement brûlée par le soleil. Jane, du mouvement de son côté, toujours vivante malgré la surdose, je remarque, elle a vomi. Par terre, au pied du canapé. Je décarre en rampant, elle a laissé son sac sur la table de la cuisine, je l'aperçois, un sac de toile crasseuse, me mettre debout. Le faire. Sa mère abusait de la graisse de renne avec un cul qui aurait pu loger un tank Sherman, au contraire de sa sœur aînée qui avait tout pour jouer les premiers rôles au cinéma, excepté la crème solaire adéquate. Je pouvais sentir son odeur, mélange de transpiration juvénile et d’eau de toilette, quelque chose qui me ranima, me donna du cœur au ventre. Remember la maison posée sur le polder, nos corps humides, le ciel à perte de vue.
La bagnole enfile les rues, réverbères, au volant Le Rétamé crache ses poumons, crache et crache. La musique dans la turne, genre funky-flip, me vrille, changer de station, le bouton je le tourne. Friture. Pub. Jingles. Voix-réverb. Les trottoirs sont rose-fluo, hey je dis au Rétamé, les trottoirs... Commentaires gutturaux en norvégien, suédois ou danois, je sombrai de nouveau, chouette effraie, fantôme livide dans la lueur des phares. Route déserte. Laisse ma tête retomber vers l'arrière, demi-sourire-commissure, elle me dit tu baves. Ta gueule bébé, je dis. Le Rétamé, je comprends pas ce qu'il raconte, je comprends pas. Je me redresse à cause de ces trucs collés au pare-brise. Autocollants. KMFDM dans l’habitacle, trop fort, trop, le truc, Hau rauck, une tuerie, ah ah ah... Pourquoi tu te marres elle me demande, peux pas tourner la tête, elle, à l’arrière, tête un maousse, fleurs de colombienne, poudre, je reconnais, la connais, la Jane... Lorsque je m’éveillai la nuit s’étendait au-delà des vitraux et l’envie de pisser me tenaillait la vessie. Le Rétamé gare la bagnole, je sens, blaaam, putain, le cardan, je pense, le cardan, sais pas pourquoi, sa portière claque, il est dehors, ouvre la mienne, pas de temps mort, hé les mecs, respirer... cinq minutes. Je me glisse sur le parking, plaqué contre le mur de l’église, observant les alentours. L’air froid de la nuit, sa tronche posée face, sa putain d’haleine mortuaire, hey bouge, bouge, il me dit. Derrière, l’autre, défoncée, hurle, en appelle aux morts-vivants de Brooklyn... Rien ne bougeait, seule une chouette ululait dans le lointain. Je pissai, mon épaule me faisait mal, des blocs de fonte appuyaient sur ma tête. J’aspergeai mes converses, jurai, et retournai me planquer dans l’église, terre d’asile. Le Rétamé m’extirpe, suis sous tremblements, peux pas marcher, peux pas, t’endors pas, T’ENDORS PAS, il me dit, on avance, la ruelle infecte, des sacs d’ordures, après nous Jane cavale, kickboxe les murs, qu’ils viennent, elle gueule, QU’ILS VIENNENT, que ça finisse vite, vite, moi je dis. Les cauchemars revinrent, des démons masqués emmenaient Youna (souterrain éclairé par des torches), la déposaient sur un autel drapé de noir, Malzieu en Grande Prêtresse Luciférienne levait un couteau en parlant à l’envers.
Le comptoir est noir de désaxés et les tables sont envahies par la meute, Le Rétamé, sa carrure, sa carrure qui me plaque au comptoir, Jane qui se cogne, la musique dans ma tronche, FORT, ACID-TRASH, relents pornos de femelles-matrices, j’en peux plus je dis au rétamé, j’en peux plus... Plus une bulle d’air dans les poumons, transpiration, muscle cardiaque au taquet, goût de pourriture dans la bouche. Le mec agite ses ailes de créature, le Rétamé répète et répète, merde comprends pas, ah, ouais, pas soif, non, la Créature décolle, je suis scotché, hey Jane, Jane, t’as vu le mec, le... T’en fais pas, t’en fais pas, c’est OK, c’est le Rétamé qui le dit, Jane se fait refaire dans les gogues, c’est OK, il plisse ses yeux, bois du whiskey, le plafond descend sur les enfants de la nuit, hey, je vais lâcher, je dis au Rétamé, HEY !!! Comme ça jusqu’à l’aube, dans l’espace noir des sortilèges chamaniques. Là, sur cette terre consacrée.

Richard F. Tabbi, Aix-en-Provence, juin 2007
texte déposé - reproduction interdite
Publié dans le numéro 34 de la revue TWICE (octobre 2007)

mardi, mai 29, 2007

LES SOIRÉES DE COLT COBRA

Un texte qui, comme "AU FOND DES EAUX", fera partie du recueil que je prépare avec Pat JOUANNEAU. Le titre : BLEU. Des textes courts, des IMPRESSIONS illustrées de photos, de montages, et de dessins de notre crû. À suivre, donc.


(photo et traitement numérique Jouanneau-Tabbi - droits réservés - reproduction interdite)

LES SOIRÉES DE COLT COBRA

Assis dans le techno-tumulte
Le garde avale une dose de vodka-mescal
Sur la scène un trio d’indo-européennes tabloïd en tenue de sable
Kid Sofa dézingue le plexiglas
Je m’avance aux limites de l’oasis intérieure
Les animaux sauvages lardent les cadavres d’agent orange
Je partage leur repas je ne paye pas
Je suis presque invisible dans l’infra-rouge
Je me souviens de ces vacances au bord du lac Baïkal
Les sourires édentés sous le ciel en flamme froide
Dialectes sibériens en torsion sur l’écran
Aimez-vous la guerre ?
Au fond du lac les armées en marche au fond du lac
Les clameurs qui montent vers la surface en torpilles liquides
Au fond du lac le bouilonnement de l’Asie en déferlantes d’armes primitives
Les guerriers-chamans
Émergent sous le regard affolé des moscovites en costume de bain
Les femmes ont des cheveux d’or glacé
Et quelques millimètres de tissus tissés de perles bleues
Les hommes donnent des indications boursières au Réseau
Les enfants aux membres pâles sont transis de visions cristallisées
Aimez-vous la guerre ?
Les Prédateurs m’ont à la bonne, me détaillent leur stock
Mon regard s’arrête sur une Kirghize aux contorsions prometteuses
Je signe pour la meute
Elle est nue et tatouée sur le ventre
Ses seins portent des anneaux transparents
Je scanne les traces de l’Opération
Igor rit tellement qu’il s’en étrangle
On le laisse mort sur l’arc métallique du pont
Demain le deal
Sous mes yeux la forêt sibérienne
Résineux à perte de vue sous les nuages
Ce monde est si beau
J’en pleurerai là, en cet instant
Le moteur tourne
La fille fait du raffût dans le coffre
J’en parle au Kolkhozien
Direction Baïkonour et les étoiles.

Richard F. Tabbi - texte déposé

lundi, mai 28, 2007

DONDOG, D'ANTOINE VOLODINE OU LA MÉMOIRE MORTE D'UN FUTUR EN DÉCOMPOSITION


La mémoire morte d’un futur en décomposition. L’exploration des conduites noirâtres du possible. Le souvenir des mondes parallèles qui hantent la géographie de nos cerveaux malades. Ouvrir un livre d’Antoine Volodine c’est entrer dans le réseau complexe d’un terrier aux multiples ramifications. Qui est Dondog Balbaïan ? Un humain ? Une blatte ? Un untermensch ? Le tout à la fois, question de point de vue, de référent temporel, de barreau sur l’échelle des univers chamaniques. Dondog doit se venger, il ne sait plus très bien pourquoi, il a passé quarante ans dans les Camps qui couvrent la planète. Quarante ans à perdre sa langue, à écrire des récits d’où la conjugaison des verbes est absente : ni présent, ni passé, ni futur : “Le monologue de Dondog a été monté en septembre par le Big Grill Theatre, dans la banlieue ouest du Camp 49-111, et il est resté à l’affiche quatre semaines.” Septembre ? OK, mais septembre de quelle année ? “Je ne sais plus, dit Dondog. En tout cas, c’était avant ou après l’année où les tempêtes ont réduit l’Amérique du Nord à l’âge de pierre.” Le monde de Dondog est un Possible : “Une des obsessions narratives de mes personnages consiste à revenir sur les sacrifices inaboutis, et sur l'obscène catastrophe que représente l'échec du projet révolutionnaire au XXè siècle. Ils racontent cela, les guerres, les souffrances, les exterminations, les totalitarismes, les ratages, depuis un espace-temps où je les mets en scène, depuis leur prison, depuis leur mort, depuis des mondes imaginaires et parallèles.” (A Volodine, Entretien). Volodine est Ailleurs, il a d’ailleurs forgé la théorie du POST-EXOTISME. “J'affirme mon droit à la différence, le droit d'explorer comme je l'entends un petit territoire d'exil, loin des écoles, loin des académismes marchands, loin de tout.” (A Volodine, Entretien) De quoi donner des migraines aux explorateurs contemporain du nombril ou aux fossiles tentant d’exhumer de leurs cendres les idéologies nauséabondes qui ont fait le malheur du XXeme siècle. “Il fallait les masques spéciaux avec leur optique spéciale, tout cet attirail que les hommes de la fraction Werschwell s’étaient fixé sur le visage dès que le crépuscule avait commencé à épaissir. Avec de tels verres merveilleusement étudiés par les savants, les tueurs restaient toute la nuit imperméables à la nuit et au sang des Ybürs qu’ils extrayaient de leurs maisons pour les transformer en déchets et en cadavres. Ils voyaient tout comme en plein jour, ce qui facilitait énormément les assassinats. De surcroît, un filtre avait été inséré entre les lentilles et les miroirs, un filtre qui faisait dévier le regard quand l’abomination du nettoyage ethnique devenait plus triviale que théorique, et quand la crudité des détails de la boucherie risquait de sauter aux yeux et de troubler la fragile rétine des tueurs. Ce filtre empêchait le regard de se fatiguer, et donc permettait aux gestes du massacre d’être reproduits indéfiniment et sans qu’intervienne un sentiment de saturation.
On avait déjà atteint une période de l’histoire humaine très sophistiquée dans le domaine des prouesses technologiques, dit Dondog.
L’intelligence humaine et militaire était à son zénith, dit Dondog.”
Génocide, Solution Finale, dékoulakisation, purges, goulag, Révolution Culturelle, Khmers Rouges, Ex-Yougoslavie, Rwanda, Darfour, la liste est longue, longue, dans la nuit de l’humanité. Dondog est un sur-vivant. Mort de l’étreinte d’Éliane Hotchkiss à la veille de sa libération, errant dans la cité sombre au rythme des tambours chamaniques, porté par l’idée de vengeance. Des noms, Gabriela Bruna, Tony Bronx, Gulmuz Korsakov. En quoi sont-ils responsables de son malheur ? Faudra-t-il inventer un prétexte pour les tuer comme Dondog écrivait des récits dans les Camps sous le pseudonyme de John Puffky ? L’eau goutte dans la cité, les bêtes grignotent au bout des couloirs, les cafards se chevauchent ou s’achèvent les uns les autres. Une taverne obscure, des putains et des insectes gigantesques qui s’entretuent pour la possession des femelles. “Tu vois, loqueteux. Tu gaspilles ton temps dans la boue des rêves, dit Tony Bronx.” C’est tout pour la vie de Dondog. Quant à Antoine Volodine il continue à “pratiquer la littérature à la manière d'un art martial, en s'engageant complètement dans chaque livre, comme s'il devait être le dernier avant la mort...» (A Volodine, Entretien)

DONDOG, Antoine Volodine, Seuil, 2003.

LUDOVIC LAVAISSIÈRE : BIOGRAPHIE ET AVIS PRESSE


Né en 1972,
Ludovic Lavaissière est l'auteur de Kainsmal, forme d'hommage à la littérature de genre du XIXe siècle, et de Prosopo(u)pée, une histoire de tueuse mâtinée de fantastique, nouvelles respectivement publiées aux éditions Glyphe et Céléphaïs.

Réception de ses textes sur le net et dans la presse :

"Prosopo(u)pée (Ludovic Lavaissière) : mon préféré. Délirant, avec mélange de styles (fantastique, polar déjanté.) L'héroïne est barjot et sexy... l'ennemie fascinante. Bref j'aime bien ce genre de récit... Bravo à l'auteur qui a su mettre son style au service de la psyché allumée de son héroïne."

"...J'ai été emportée par la prose et les Freaks de Ludovic Lavaissière (Kainsmal in Identités)...."

"...La troisième et dernière partie sur les Miroirs brisés est celle qui m’a le plus troublé. De très grands novellistes figurent dans cette partie : Constance Bloch, Carl Louvier, Dennis Labbé, Sophie Dabat, Ludovic Lavaissière..."

"… Mélange d'ingrédients pourtant classiques (le cirque magique, la malédiction éternelle, le vampirisme), "Kainsmal" (Ludovic Lavaissière) se laisse agréablement lire..."

"… Ludovic Lavaissière (« Kainsmal », romance gothique dans l'Europe du XIXe siècle sur fond de lutte entre créatures antédiluviennes), fredgev (« Lagavulin », hallucinant voyage au bout d'un réel augmenté, diffracté par le cinéma mental du narrateur), Léo Lamarche (« Je ne t'oublierai jamais », bouleversant dans sa simplicité) sont chacun à leur manière plutôt convaincants..."

Un de ses poèmes :

PALACE DES COEURS BRISES

bye bye love
un charnier loge dans ma poitrine.
des miasmes de sentiments nécrosés
viennent taquiner mes capteurs sensoriels.

j'ai troqué une parcelle d'âme contre
une putain de nécropole.

je passe mon coeur au micro-onde
expérimente la transition.
je rêve de le voir exploser
mais mon muscle est un dur à cuire.

palpitant bodybuildé dopé à l'hormone d'espérance
entraîné à souffrir le martyre et prêt à encaisser les clous.

un jour peut-être je l'essorerai
il en pleuvra des asticots
mais il me restera bien une larme
amère comme une goutte de vermouth
j'avais espéré des lucioles.

l'amour n'est qu'une vue de l'esprit
va et emmure tes émotions.

je me paie une suite au palace des coeurs brisés
savonnettes d'impôt et camisole de bain
mushroom-service et mini-barbituriques.

Ludovic Lavaissière - texte déposé - reproduction interdite

mercredi, mai 02, 2007

RICHARD F. TABBI : BIOGRAPHY



RICHARD F. TABBI was born in 1967 in the south of France, from a Sicilian father and a French mother.
After a master’s degree in medieval theology he dedicated himself to Francis from Assisi's sanctity he successively was a military man, a teacher, a documentalist, an editor, a journalist, a marketing professionnal, a bricklayer, a painter, a medical secretary...
At the age of thirty he decided to be a writer.
His first novel, ZOMBIE PLANETE was published in 2003, by Mango editions. The first part of a trilogy dedicated to insanity through the vision of an author who sinks into manic depression, ZOMBIE PLANETE is also a way to explore some of the post-war myths : the road, the pop-rock music, the drugs addictions... Richard F. Tabbi also took part in « Sexe More Sexe » with Eliette Abécassis, Frédéric Beigbeder and many others, and collaborate with the Bulletin des Amis de Michel Houellebecq and the Bordel review writing short stories and essays. He also wrote scenarii with the author-actor Ludovic Lavaissière in Le Havre, France.
As a French author, he was strangely influenced by the American litterature. In the beginning he discovered with passion Louis-Ferdinand Céline and Blaise Cendrars, and is still crazy about these two giants. But he found his vocation while crossing the Atlantic Ocean and meeting John Fante, Charles Bukowski, Jack Kerouac, Henry Miller and some others, thanks to Philippe Djian. Ever since this moment he has been reading American litterature exclusively, with the exception of two great French authors of his generation : Maurice G. Dantec and Michel Houellebecq of course.
He now lives in the south of France.

dimanche, avril 01, 2007

BLUES PROJECT : UN SPECTACLE VIVANT SUR LE BLUES : pour aller sur le site, cliquez ici


L'histoire du blues est indissociable de ses racines Africaines, de l'histoire de l'esclavage et de la traite négrière.
Le brassage culturel commence en effet, sur les bateaux où sont entassées à fond de cale, dans des conditions atroces, de nombreuses ethnies africaines n'ayant ni le même langage, ni les mêmes codes sociaux, ni les mêmes rites.
Il faudra à ces premières générations d'esclaves, arrachées à leur terre natale, apprendre à vivre ensemble, à se comprendre, à partager ce qui reste d'un continent.
Plus tard, avec les générations successives, nées sur le sol américain, une nation Afro-Américaine va peu à peu trouver sa propre identité. Une nation avec une culture nouvelle se nourrissant des mémoires ancestrales et de toutes les influences résidant sur le sol américain.
C'est ainsi, qu'au fil du temps, à travers les bouleversements culturels constants, mélangeant chants ancestraux de l'Afrique, shouts, work-songs, spirituals, folklore Irlandais, hill-billy, musique des Indiens et bien d'autres, va naître le Blues.

A l'aide de divers documents audios, photos, traductions de textes, films d'époque, tirés des archives Rick PRELINGER, BLUES PROJECT vous propose de partager sa passion pour le blues.
Cette passion ne se contente pas d'une présentation de documents, ornés de commentaires...
En effet, BLUES PROJECT est avant tout, un trio (bientôt quartet) de musiciens et jouant sur scène des compositions, ainsi que des reprises de blues pour illustrer le propos du moment.
Le répertoire, lors de ces interventions musicales, fait la part belle au blues du delta du Mississippi.
Les différents thèmes abordés partent de L'ESCLAVAGE, jusqu'aux portes du CHICAGO BLUES, le COTON qui marque par son écrasante omniprésence, la vie des bluesmen...L'INDUSTRIE DU DISQUE qui contribua à l'éclosion de ce genre musical d'abord réservé à la communauté noire, puis à un plus large public blanc par le biais du "REVIVAL ANGLAIS" et du rock'n roll.
L' HISTOIRE DES INSTRUMENTS, les plus emblématiques comme l'harmonica, la guitare, voyage à travers les continents...
Culture et histoire, enchevêtrées en permanence l'une à l'autre, marquent au fil du temps les différents changements de cap du blues, à travers le drame humain d'un peuple livré au racisme, à la ségrégation et à la haine...



Pout tout renseignement, concert, contactez-moi : zombieplanete2001@yahoo.fr

NOTES DE LECTURE SANS SOUCI D’ACTUALITÉ, SANS COPINAGE, SANS RIEN...


D’Haruki Murakami j’avais lu il y a longtemps (en 1998) l’extraordinaire “Fin des temps” aux rêves de licornes et la “Course au mouton sauvage” peuplée de créatures étranges et repoussantes hantant les égouts de Tokyo. Je viens de découvrir un chef-d’œuvre avec les “Chroniques de l’oiseau à ressort”, paru en 1994. D’abord Murakami, écrivain atypique dans l’univers de la littérature japonaise. Né en 1949, il a étudié la tragédie grecque à l’université, a dirigé un bar de jazz, musique essentielle et récurrente dans son œuvre, avant de se consacrer totalement à l’écriture : lever à 4 heures du matin, 1 heure de footing, 1 heure de natation, 12 heures d’écriture, la vérité des chiffres est imparable. Au total une douzaine de livres plutôt épais, les “Chroniques de l’oiseau à ressort” flirtent avec les 800 pages, l’écriture est un exploit athlétique, je l’ai toujours pensé. Ajoutons que Murakami a traduit Fitzgerald, Irving et Raymond Carver, “le professeur le plus important de mon existence”, dit-il, le maître de l’épure a ainsi marqué l’un des maîtres contemporains du fantastique. De par ses goûts littéraires tournés vers l’Amérique, de par le fait qu’il réside régulièrement aux USA, en Grêce, en Italie, Murakami est sans doute l’un des écrivains japonais les plus accessibles aux occidentaux que nous sommes (essayez de lire Mishima et vous comprendrez ce que je veux dire). Ses histoires partent du quotidien le plus banal et entraînent le lecteur dans un labyrinthe qui finit par faire vaciller la raison. Prenez cet oiseau à ressort qui “remonte les ressorts du monde” et pousse son cri, “Kaa Kaaa” près du jardin de Toru Okada et de sa jeune et belle épouse, Kumiko. C’est le même cri que l’on entend lors de la guerre du Mandchoukuo, après que les autorités japonaises eurent ordonné l’exécution de tous les animaux d’un zoo, tandis que l’assaut russe est imminent. Toru Okada a perdu son chat, Noburu Wataya, qui porte le même nom que son beau-frère. Il va perdre son épouse, aperçue pour la dernière fois par un teinturier, et perdue dans un monde-cauchemar. Monde-cauchemar auquel Toru Okada parviendra à accéder en descendant au fond d’un puit à sec. Et c’est au fond d’un puit que le lieutenant Mamiya va laisser son envie de vivre, cela se passe sur la frontière mongole, pendant la guerre, après que son supérieur se soit fait écorcher vif sur l’ordre du justement nommé Boris l’écorcheur. Ajoutons à cela une femme médium arborant un chapeau en plastique rouge et sa jeune sœur qui débarque un jour chez Toru Okada complètement nue parce qu’elle ne sait plus ce qu’elle a fait de ses vêtements. Et aussi des phénomènes étranges dans la maison où se trouve le puit qui permet de communiquer avec “l’autre monde”, maison baptisée par la presse “Demeure des pendus”. Et encore le retour du chat que Toru va rebaptiser “Bonite”, parce que le nom détermine beaucoup de choses. Quant à Kumiko, Toru va finir par retrouver sa trace, lui parler par écran d’ordinateur interposé, découvrir peu à peu le monstrueux secret qui la tient éloignée de sa réalité. Voilà, ça n’est pas un résumé parce que ce livre est irrésumable, il se déroule plutôt comme les anneaux d’un serpent cosmique lové sur lui-même et dépliant ses cercles concentriques sur des orbites spatio-temporelles qui donnent le vertige.

Haruki Murakami, “Chroniques de l’oiseau à ressort”, Seuil, 1994 (trad. Corinne Atlan, Karine Chesneau).

A signaler parce que l’écriture de Kerouac est une obsession chez moi un petit volume paru en Folio intitulé “Le vagabond américain en voie de disparition”. Ce sont des textes tirés du “Vagabond solitaire”, en fait deux courts textes. Le premier, “Grand voyage en Europe” , est issu du voyage que fit Kerouac pour aller chercher des droits d’auteur en Angleterre. On passe de la traversée cauchemardesque de l’Atlantique à la beauté étrange de Tanger en compagnie de William Burroughs. Surtout, Marseille, Aix-en-Provence, Avignon, Paris (“Paris, un coup de poignard en plein cœur, tout compte fait.”) vus par les yeux de Sal Paradise, ça vaut son pesant de mots, ça se lit d’une traite, nostalgie d’une France à la Doisneau qui n’existe plus. Quant au “Vagabond américain en voie de disparition”, cela renvoie à Thoreau, à Jack London, à l’errance magnifique de la marge. C’est le moment où l’Amérique bascule dans la modernité, où le type qui fait la route sac au dos devient suspect, où la société de la peur prend le pas sur celle de l’Aventure, celle qui a porté ses forces vives vers l’Ouest. “Sur les routes maléfiques derrière les réservoirs à pétrole, là où les chiens sanguinaires montrent les dents derrière les grillages, les autos de police bondissent soudain comme des voitures d’évadés mais elles proviennent d’un crime plus secret, plus funeste que les mots ne peuvent le dire. Les bois sont remplis de geôliers.”

Jack Kerouac, “Le vagabond américain en voie de disparition”, Folio, 2 Euros ! (trad. Jean Autret)


Enfin, je viens de relire avec une émotion sacrée “Demande à la poussière” de John Fante. Un livre paru en 1939, dont la réédition de 1980 a été préfacée par Charles Bukowski: “J’étais jeune, affamé, ivrogne, essayant d’être un écrivain. J’ai passé le plus clair de mon temps à lire Downtown à la Bibliothèque municipale de Los Angeles (...) Un jour j’ai tiré un livre, je l’ai ouvert et c’était ça.” Bukowski vouait une admiration sans bornes à John Fante, il a aidé à sa redécouverte, il a œuvré à ce qu’on lui rende justice à la fin de sa vie. Car Fante a nourri sa famille en écrivant des scénarios pour Hollywood, ses romans n’ont jamais connu le succès de son vivant. Pourtant, quelle leçon d’écriture, laissez-vous emporter par le souffle d’Arturo Bandini, jeune écrivain italo-américain convaincu de son talent, écartelé entre le Dieu de sa mère et ses pulsions diaboliques confortées par la lecture de Nietzsche. Bandini vit dans un hôtel miteux sur Bunker Hill, il se nourrit d’oranges, il tombe amoureux de Camilla Lopez, jeune serveuse mexicaine. Entre eux, c’est l’amour vache, ils se quittent, se retrouvent, s’insultent (“Ces huaraches, Camilla - c’est vraiment nécessaire de les porter ? Faut-il absolument souligner le fait que tu n’es et ne sera jamais qu’une sale petite métèque ?”). C’est que Bandini a l’âme noire d’un sale gosse perdu dans une ville trop grande pour lui, le fils de rital élevé dans les neiges du Colorado. Mais bandini s’accroche, il martèle les touches de sa machine à écrire des nuits entières et finira par être publié. Quelques centaines de dollars en poche, il claque tout en costards, chapeau, chaussures, Bandini est un impulsif fiché comme un coin dans le présent. On le découvre même généreux, et Camilla le traverse comme un motif obsessionnel. L’issue de cette histoire est écrite dans la poussière des sables du désert de Mojave.

John Fante, “Demande à la poussière”, Christian Bourgois, coll “10-18”, 1986 (trad. Philippe Garnier).

jeudi, mars 01, 2007

NOTES DE LECTURE : JIM HARRISON : DE MARQUETTE A VERACRUZ


Ouvrir un livre de Jim Harrison c’est comme ouvrir le menu d’un restaurant gastronomique. On sait qu’on va se régaler, on imagine à peu-près ce que l’on va y trouver, et on est certain d’être bluffé à un moment ou à un autre. Un livre de Jim Harrison, ça n’a pas de prix, c’est épais comme un T-bone steak, il y a de la matière, c’est un voyage qui promet de vous laisser rassasié, que vous mastiquerez durant les longs mois qui vous séparent de la lecture du prochain. Pourvu que Jim Harrison ne meure jamais. Pourvu qu’il ne nous laisse pas seuls avec notre faim inextinguible de littérature, de grands espaces, de parties de pêche et de blizzards. DE MARQUETTE À VERACRUZ est l’histoire de David Burkett, fils d’un richissime salaud, “pète-sec”, dont le comportement l’apparente plus à un ours qu’à un homme. C’est aussi l’histoire de la famille de David Burkett, qu’il a entrepris d’écrire, afin de régler ses comptes avec ses ancêtres responsables de la déforestation de la Péninsule Nord. C’est aussi l’histoire de l’Amérique, de l’exploitation du sous-continent nord, l’éternelle histoire des pionniers Blancs et des Indiens laissés pour compte parqués dans leurs réserves. David Burkett adolescent se destine à être prêcheur mais les corps graciles des filles sur la plage l’émeuvent jusqu’au désespoir. Il se réfugie dans les bois, passe des journées entières à ramer sur le lac Au Train, mais finit par céder à la tentation de la chair. Le temps passe, sa mère mélange alcool et médicaments pour tenir le coup, son père succombe à ses penchants pédophiles. Comment ne pas tuer son père ? La réponse est-elle dans le fait de comptabiliser une à une les souches d’arbres abattus par sa famille au fil des génération ? Dans le fait de recueillir les témoignages des mineurs exploités par son grand-père ? Dans le fait de vivre seul, isolé dans un chalet au milieu des bois ? Le temps passe inexorablement, mariage raté, pertes d’êtres chers, amours éphémères, Riva la noire, Vernice la poétesse, qu’il poursuivra jusqu’à Aix-en-Provence. Et toujours l’impossible quête : retrouver Vera, l’adolescente violée par son propre père, qui a donné naissance à un demi-frère violent, et qui vit loin vers le Sud, au Mexique. Voyage initiatique, voyage au bout de ses propres névroses, portrait sans fard d’une Amérique submergée par une vitalité inouïe, portrait d’un homme qui porte en lui les eaux du lac Michigan et la jungle mexicaine peuplée d’aigles voleurs d’enfants, un homme emmitouflé dans la peau d’un grizzly qui cache sa tristesse à la lune et au monde entier. Jim Harrison n’en a pas fini avec ses obsessions. C’est, n’en doutons pas, une bonne nouvelle.

JIM HARRISON : DE MARQUETTE A VERACRUZ
Christian Bourgois 10/18, 2004, coll “Domaine étranger”
trad. Brice Matthieussent

RF Tabbi, Aix-en-Provence, 27 février 2007

AU FOND DES EAUX / RAMMSTEIN LIVE cliquez ici


("Majdanek", acrylique originale de Richard F. Tabbi)

(cliquez sur le titre ci-dessus "RAMMSTEIN LIVE" pour accéder à la bande-son qui accompagne le texte suivant. Mettez un casque et poussez le volume au maximum. Si après ça vous croyez encore à la paix universelle, changez de blog.)

A Majdanek j’ai laissé des morceaux de chair
L’orchestre jouait une valse triste
Il y avait ce distributeur de Coca-cola
À l’entrée du CAMP
Sous les paillasses pétrifiées par le gel
La terre s’ouvrait sur des millénaires de glaciation
Au plafond des insectes préhistoriques attendaient leur tour
Dans les containers d’acier les chaussures des morts
- hommes, femmes, enfants -
Et l’odeur du cuir qui prend aux narines
- l’odeur des morts -
Marcher sur la terre noire
Sous l’œil noir des corbeaux
Gardiens du froid qui glace les âmes

Dans la jungle amazonienne les ruines d’une cité
Corps colonisés de mercure
Dansant dans le crépuscule
Aux ordres des chamans
Et des dieux du fleuve
Mes lèvres gercées dans leur linceul aquatique
Mes lèvres oubliées
Sur le sein d’une indienne
Mère à dix-sept ans
Le moteur du pick-up écrase la transamazonienne
De fièvre industrielle

En moi le chien digital en moi l’androïde émotionnel
En moi la route de pétrole distillée en crackings
En moi les hautes tours de mon enfance
En moi les usines-métal
Au rythme des haut-fourneaux
Le pilote verrouille sa cible
“Une fillette sur une balançoire
Dans le soleil automnal”
J’entends sa voix synthétique
Environné de poissons morts et de sable aurifère
Lèvres glacées
Perte du goût de l’enfance

Je suis le chien qui court sur le permafrost
Nourri de la chair des pachydermes cryogénisés
Je suis le chien qui court
Et ne s’arrête jamais
Je suis la route enfouie
Sous les eaux du Déluge
Gardienne des corps
Et de la mémoire morte

Clouées par les rafales
Nos chairs envasées
Reposent
Au fond des eaux.

copyright Richard F. Tabbi (8 novembre 2006)

GABY ET LES PATES AUX COQUILLES SAINT-JACQUES OU DU SUICIDE EN LITTÉRATURE

Ceux qui me connaissent savent que j’adore cuisiner. Je suis loin d’arriver au doigt de pied de Marc Veyrat mais je me démerde, j’ai mes trucs, même si je me reproche de ne pas assez innover. Il y a quelques jours de ça nous avions invité à dîner l’une de mes cousines, Mumu, et son mari, Gaby. Ma cousine est une cuisinière de niveau international, elle pourrait en apprendre à certains grands noms à la tête enflée sous la mitre, autant dire que je flippais, que j’ai longtemps réfléchi avant de me décider pour des pâtes (spaghettoni Barilla n°7) à la coquille Saint-Jacques. La soirée fut agréable, marquée par une discussion politique inévitable en cette période, les pâtes étaient à mon goût trop peu relevées, et le dessert fut l’occasion d’ouvrir une bouteille de Vodka ramenée spécialement de Pologne, de la Boss (spécialité de Lublin, ville natale de mon épouse, NDA) qui avait patiemment attendu dans le congélateur. Après le troisième toast de petites étoiles se sont allumées dans les yeux de tous les convives et Gaby m’a déclaré tout à trac qu’il avait lu mon roman, Zombie-planète. Cela m’a fait d’autant plus plaisir qu’il était un des rares membres de ma famille, pourtant nombreuse, à avoir eu la curiosité d’ouvrir ce livre, et qu’il était allé jusqu’au bout. J’ai encore plus apprécié les critiques qu’il a formulées. En général les gens se contentent d’appréciations vagues, disent qu’ils ont bien aimé, mais produisent rarement des critiques argumentées. En l’occurence, il en est ressorti un choc violent de deux mondes antinomiques. Comment un type qui est dans l’hyper-concret, en l’occurence la gestion d’une entreprise de recyclage préoccupé par les problèmes liés à la biomasse, peut-il réagir face à l’univers nihiliste, déjanté, désespéré, au no future qui hante les pages de Zombie-planète ? Surtout, au centre de tout ça, comment peut-il seulement imaginer un personnage tel que le narrateur, qui décide de prendre sa retraite à trente ans ? (“J’avais eu tout à coup une espèce de révélation d’une intensité mystique sans précédent. Un peu comme si mon cerveau, après être resté longtemps dans le tambour d’une machine à laver, était suspendu au soleil sur une corde à linge. Lumière et chaleur. Clarté. Je voulais prendre ma retraite à trente ans.” ZP, p.39) C’est à cette question que je voudrais tenter de répondre, et c’est bien là l’objet de ce petit texte. En réalité, pour le narrateur, “prendre sa retraite à trente ans” signifie se retirer du jeu, et cela à deux niveau. En premier lieu cela correspond à son entrée en littérature. Car devenir écrivain implique une “mort sociale”, plus ou moins voulue, plus ou moins programmée. Je m’explique. Être écrivain correspond à un statut social privilégié, reconnu, À PARTIR DU MOMENT OU VOUS VENDEZ DES LIVRES, où l’on vous voit dans les médias, où l’on vous invite dans les émissions littéraires. Remarquons que dans ce cas de figure la reconnaissance n’a rien à voir avec le talent. Cela peut coïncider dans le cas de Jim Harrison, ou l’exposition médiatique peut être proportionnellement inverse à celui-ci comme dans le cas de l’insignifiant Nicolas Rey ou celui de Florian Zeller à l’impayable mise en plis. Si, par malheur pour vous vous vendez peu, êtes peu médiatique, voire confidentiel, alors là LE STATUT D’ÉCRIVAIN EST UN BOULET, on vous prend en général pour un doux rêveur dans le meilleur des cas, pour un branleur dans le pire. Et pourtant, une journée d’écriture c’est parfois 10-12 heures devant son clavier, il n’y a ni week-ends, ni congés payés, et bien sûr très peu de fric à la clé. On le voit, devenir écrivain, c’est donc bien se retirer du jeu social, c’est le renoncement absolu au confort matériel et moral. C’est, en dernière analyse, une forme de suicide. C’est là le deuxième niveau de lecture d’un roman comme Zombie-planète qui n’est pas autre chose que le récit du lent suicide du narrateur. “Prendre sa retraite à trente ans”, ah ah ah. Qui peut croire ça ? Il faut lire : ”Je renonce à vivre à partir d’aujourd’hui, à partir de ma trentième année”. Zombie-planète n’est pas un roman autobiographique, je supporte mal l’autofiction qui sent son Saint-Germain des Près faisandé, ces petites historiettes mal ficelées qui se ressemblent toutes et ont valu le Prix de Flore à Nicolas Rey, encore lui. Par contre, Zombie-planète est sans doute le résultat d’un passage au SCANNER MENTAL, un engin à inventer de toute urgence.

Richard F. Tabbi

lundi, février 05, 2007

NOTES DE LECTURES : AMANDINE DESMAISONS, CHARLES WILLEFORD



Quelques livres en vrac au fil de mes lectures ces derniers temps. En premier lieu celui d’Amandine Desmaison, LES DESSOUS DE L’HISTOIRE - CES GRANDES DAMES ET PETITES FEMMES QUI ONT FAIT LA FRANCE. Un livre d’histoire qui se lit comme un roman, mais attention, Amandine Desmaison, historienne de formation, a fondé son travail sur des recherches sérieuses, il ne s’agit pas là d’une de ces pseudo études historiques écrites pour tromper l’ennui par des bourgeoises en robe d’intérieur qui sont à l’histoire ce que Carla Bruni est à la chanson. Non, Amandine a appliqué sa rigueur universitaire à un sujet certes léger, mais qui a le mérite de faire vaciller sur leur socle les statues de Marc Bloch et de Lucien Febvre. J’exagère, bien sûr, et le territoire de l’histoire est vaste, mais quel plaisir de se replonger dans les chamailleries de Frédégonde et Brunehaut, de faire une halte à la cour d’Aliénor d’Aquitaine où s’épanouit la civilisation occitane à travers l’amour courtois, de retrouver la reine Margot et l’impératrice Joséphine. Surtout, il s’agit de réévaluer le rôle politique, social, culturel de ces femmes, qu’elles soient issues du peuple ou du monde aristocratique. Ainsi en est-il du rôle de Madame de Maintenon dans la révocation de l’Édit de Nantes ou de celui de Clothilde dans la conversion de Clovis, qui a déterminé le destin d’une nation. Cela est bien connu, à vous de découvrir le reste, ou plutôt de le dévorer tant le style d’Amandine Desmaison amène un rare bonheur de lecture.

Amandine Desmaison : Les dessous de l’histoire : ces grandes dames et petites femmes qui ont fait la France, éditions Scali, 2006.



Connaissez-vous Charles Willeford ? Moi pas jusqu’à ce que je tombe par hasard dans la bibliothèque de mon père sur MIAMI BLUES. Et là, stupeur, révélation, Willeford est le chaînon manquant entre, disons, Dashiel Hammet, Chester Himes, et Richard Brautigan pour son détective déglingué d’Un privé à Babylone. Willeford est né en 1919 à Little Rock, dans l’Arkansas. Orphelin très tôt, il est élevé par sa grand’mère, mais prend la route à 12 ans lors de la Grande depression, considérant qu’il doit désormais s’assumer. A 16 ans il s’engage dans la garde nationale californienne et poursuit une carrière militaire en dents de scie qui lui vaudra tout de même la Silver Star pour ses faits d’arme pendant la Seconde Guerre Mondiale. Il voyage, France, Japon, Pérou, et commence à écrire à la fin des années 40. Il publie un premier roman en 1953, LES GRANDS PRÊTRES DE CALIFORNIE. Mévente, divorce, dépression, Willeford s’accroche et sort en 1962 COMBATS DE COQ qui lui vaut le prestigieux soutien d’Erskine Caldwell, rien de moins. Mais son éditeur meurt et le livre n’est pas distribué. Ce qui s’appelle la poisse. Les emmerdements continuent avec l’échec de l’adaptation cinématographique du livre dix ans plus tard. Finalement c’est en 1984 que Willeford publie MIAMI BLUES, premier livre d’une trilogie consacrée au sergent Hoke Moseley. Les affaires commencent à marcher et son éditeur lui octroie un à-valoir de 225 000 dollars pour le troisième opus. Mais quand on est noir c’est jusqu’au bout, Willeford meurt le 27 mars 1988, une semaine après la sortie du livre, payant un lourd tribut à l’alcool et au tabac. Diagnostic : crise cardiaque. Willeford disait “Ecrivez seulement la vérité, et on vous accuse de faire de l’humour noir”, la vie s’est chargée de lui donner raison.
Quant à MIAMI BLUES, disons que tout commence à l’aéroport de Miami, lorsqu’un ex-taulard californien baraqué comme Schwarzenegger tue un Hare Krishna en lui cassant le doigt. Une enquête compliquée pour le sergent Hoke Moseley à qui le medecin légiste a arraché toutes les dents pour les remplacer par un moulage identique à ceux qui sont fabriqués pour les dauphins du Marineland de Miami. Moseley croupit dans un meublé miteux, la ville est une grosse machine qui ne s’arrête jamais et l’atmosphère comporte un taux d’humidité effrayant. Une étudiante stupide qui fait la putain dans un hôtel pour payer ses cours croise la trajectoire du flic et de l’ex-taulard, qui se révèle être un psychopathe de première au fil du livre. Bref, si vous aimez les romans de Florian Zeller et les disques de Carla Bruni vous allez détester, pour les autres, allez-y, attention perle rare.

Charles Willeford : Miami Blues, éditions Rivages 1991, coll. Rivages-noir.

vendredi, février 02, 2007

MACHINES SENTIMENTALES, LA NOUVELLE, PUBLIÉE DANS LE NUMERO 32 DE LA REVUE TWICE




La nouvelle MACHINES SENTIMENTALES écrite en 2002 en hommage à Maurice G. Dantec et restée longtemps inédite vient d'être publiée dans la revue papier TWICE, un contexte idoine pour un texte qui s'apparente plus à l'univers du rock industriel qu'à l'autofiction germanopratine que s'entêtent à pratiquer et à promouvoir les romanciers enfermés dans le bocal télévisuel. Cliquez sur le lien TWICE en marge à droite ou sur le titre de cet article et commandez la revue de l'excellent Clément Marchal, pour 2,50 Euros plus les frais de port vous ne sauverez pas la planète mais vous en prendrez plein la tête. Et si le 18 février 2007 vous êtes du côté de la place de Clichy plongez dans l'inferno de la Locomotive pour le Festival de l'Érèbe. A part ça un extrait de MACHINES SENTIMENTALES afin que vous sachiez où vous mettez les pieds :

Les cent vingt kilos du type ont dégringolé sur le sol jonché de sciure et de clopes écrasées. Les flics n’ont pas tardé à faire une entrée fracassante. (Le réseau compliqué des égoûts charrie les cadavres d’enfants mort-nés, ils rejoindront la mer et oublieront leur parenté.) Moi, j’avais posé mon double dans l’eau noire et Jarvis buvait dans un gobelet de métal irradié. Je tenais à peine debout, elle avait la lèvre qui saignait, elle lissait sa jupe, à ses pieds sa culotte blanche déchirée gisait dans une flaque d’urine. Elle n’a pas eu un regard pour moi, elle est sortie affronter la suite, indifférente à leur approche, insectes accrochant leurs colonies à la nuit du sous-sol et rongeant les ossements cristallisés. Je n’avais pas mis très longtemps pour devenir une vraie ordure.
Deux enfants se font face
Braquant chacun leur pistolet
Sur la tempe de l’autre
La plupart avaient fuis vers les campagnes, dans les cités fortifiées. Les flashes crépitaient et les flics avaient de la poudre au coin des narines et les étoiles disparaissaient, bientôt ce serait le matin et le ciel bleu et on se demande pourquoi tout ce ciel bleu quand on est dans une telle merde. Au-delà des remparts, les transsexuels se coupaient le bout des seins, ils transpiraient et exhalaient des odeurs aigrelettes et leurs mains se refermaient sur des pénis sanglants. À la sortie des écoles les apprentis sorciers testaient leurs maléfices et les jeunes vierges se suicidaient selon un rituel immuable. Ils m’ont sorti du bar menottes aux poignets, la gueule en sang, et le plus mafieux expliquait aux journalistes que j’avais fait du grabuge. On les descendait lorsqu’ils s’approchaient trop près des remparts. Envie que la nuit recouvre le monde histoire de pas être seul dans l’obscurité et les tourments. C’était là aussi le seul moyen de rentrer en contact avec Eux.

Richard F. Tabbi, Aix-en-Provence, nuit du 14 au 15 octobre 2002