jeudi, mars 01, 2007

NOTES DE LECTURE : JIM HARRISON : DE MARQUETTE A VERACRUZ


Ouvrir un livre de Jim Harrison c’est comme ouvrir le menu d’un restaurant gastronomique. On sait qu’on va se régaler, on imagine à peu-près ce que l’on va y trouver, et on est certain d’être bluffé à un moment ou à un autre. Un livre de Jim Harrison, ça n’a pas de prix, c’est épais comme un T-bone steak, il y a de la matière, c’est un voyage qui promet de vous laisser rassasié, que vous mastiquerez durant les longs mois qui vous séparent de la lecture du prochain. Pourvu que Jim Harrison ne meure jamais. Pourvu qu’il ne nous laisse pas seuls avec notre faim inextinguible de littérature, de grands espaces, de parties de pêche et de blizzards. DE MARQUETTE À VERACRUZ est l’histoire de David Burkett, fils d’un richissime salaud, “pète-sec”, dont le comportement l’apparente plus à un ours qu’à un homme. C’est aussi l’histoire de la famille de David Burkett, qu’il a entrepris d’écrire, afin de régler ses comptes avec ses ancêtres responsables de la déforestation de la Péninsule Nord. C’est aussi l’histoire de l’Amérique, de l’exploitation du sous-continent nord, l’éternelle histoire des pionniers Blancs et des Indiens laissés pour compte parqués dans leurs réserves. David Burkett adolescent se destine à être prêcheur mais les corps graciles des filles sur la plage l’émeuvent jusqu’au désespoir. Il se réfugie dans les bois, passe des journées entières à ramer sur le lac Au Train, mais finit par céder à la tentation de la chair. Le temps passe, sa mère mélange alcool et médicaments pour tenir le coup, son père succombe à ses penchants pédophiles. Comment ne pas tuer son père ? La réponse est-elle dans le fait de comptabiliser une à une les souches d’arbres abattus par sa famille au fil des génération ? Dans le fait de recueillir les témoignages des mineurs exploités par son grand-père ? Dans le fait de vivre seul, isolé dans un chalet au milieu des bois ? Le temps passe inexorablement, mariage raté, pertes d’êtres chers, amours éphémères, Riva la noire, Vernice la poétesse, qu’il poursuivra jusqu’à Aix-en-Provence. Et toujours l’impossible quête : retrouver Vera, l’adolescente violée par son propre père, qui a donné naissance à un demi-frère violent, et qui vit loin vers le Sud, au Mexique. Voyage initiatique, voyage au bout de ses propres névroses, portrait sans fard d’une Amérique submergée par une vitalité inouïe, portrait d’un homme qui porte en lui les eaux du lac Michigan et la jungle mexicaine peuplée d’aigles voleurs d’enfants, un homme emmitouflé dans la peau d’un grizzly qui cache sa tristesse à la lune et au monde entier. Jim Harrison n’en a pas fini avec ses obsessions. C’est, n’en doutons pas, une bonne nouvelle.

JIM HARRISON : DE MARQUETTE A VERACRUZ
Christian Bourgois 10/18, 2004, coll “Domaine étranger”
trad. Brice Matthieussent

RF Tabbi, Aix-en-Provence, 27 février 2007

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