mardi, février 17, 2009

"IMPARDONNABLES" : DJIAN PUR JUS


Un nouveau Djian. Comme on attend le nouveau Nine Inch Nails ou le dernier film de David Lynch. Parce que les raisons de s’exciter ne sont pas si fréquentes. Parce qu’il y a peu d’auteurs français capables de vous embarquer de cette manière. Parce qu’on lit Djian depuis vingt ans et qu’à chaque fois que l’on referme l’un de ses romans, c’est avec regret, c’est en espérant que le prochain sortira rapidement, et surtout que la magie sera présente. Toujours.
Le moins que l’on puisse dire avec “IMPARDONNABLES”, c’est que c’est du Djian pur jus. Bien sûr, les nostalgiques de “Zone Érogène” ou d’”Échine” risquent de ne pas y trouver leur compte, Djian a remplacé le Wild Turkey par les antidépresseurs, les Aston Martin par de grosses Audi confortables, les filles échevelées aux jupes trop courtes par des quinquagénaires en tailleur qui sont, ma foi, tout aussi séduisantes (souvenez-vous, on lit Djian depuis vingt ans, cela ne peut être sans conséquences). Mais qu’importe le décor (en l’occurence le Pays Basque), qu’importent les personnages (Francis, écrivain vieillissant, la soixantaine, Alice, sa fille, actrice torturée, Judith, sa femme, la cinquantaine etc.), qu’importe même l’histoire ( ou les histoires, un homme peut-il survivre à la mort de sa femme et de l’une de ses filles ? Une fille peut-elle ne pas faire payer à son père le drame qui lui a enlevé sa mère et sa sœur ? Un père peut-il pardonner à sa fille d’être devenue une petite connasse d’actrice à la mode sans scrupule ?), pourvu que le style nous enveloppe tout ça de pure lumière, pourvu que les phrases sonnent comme un bon disque, comme un chorus de David Gilmour où chaque note est infiniment à sa place.
Et Djian s’y entend, question style, des incises zen (on le sait grand lecteur de Sun Tzu) : “Indifférente, la pleine lune clapotait sur l’océan, baignait les pins, rebondissait sur la route, puis s’invitait dans les jardins.”, aux morceaux de bravoure ciselés : “Je croyais avoir compris que ces histoires ne valaient plus la peine que l’on se donnait hier encore pour les vivre, je croyais avoir compris que l’on était parvenus à un niveau supérieur, que l’on pouvait ne plus jouer à ces jeux idiots, que l’on pouvait s’en dispenser et j’étais là, frissonnant au crépuscule comme un collégien, totalement désarmé, terrassé.” Sobriété. Efficacité. Tout est dit.
Du coup, les quelques coups de griffes, les quelques coups d’œil que jette Djian sur le monde qui l’entoure sont presque anecdotiques : “Souvent, les actrices ne redevenaient fréquentables qu’à partir de la cinquantaine, lorsque les masques commençaient à tomber.” L’important, dans tout ça, hé bien, l’important, c’est la littérature. Ce qui fait que tout cela tient ensemble. Ce qui fait qu’une ligne esthétique se dégage au-delà des mots, au-delà du propos. Et la littérature, entre autres, c’est le grand Ernest Hemingway, qui hante les pages d’”Impardonnables”, non sans humour. Ainsi le canapé de Francis, dans lequel l’illustre écrivain a posé son considérable séant. Francis, qui relit Les neiges du Kilimandjaro (qu’on ne saurait que trop conseiller à toute personne saine d’esprit) avec admiration : “Superbe écrivain. Puisant. Économe. Rusé.” Francis, dont la tante a même tricoté un pull à Papa Hem “Il existe une photo, désormais célèbre, où il porte un gros pull blanc (...)” et a fait de même pour son neveu, à l’identique. Celui-ci n’osera jamais porter ledit pull “mais j’avais toujours écrit, dès lors, en m’efforçant d’en être digne.” Voilà qui pourrait résumer Philippe Djian à merveille.
Alors bien sûr, il y aura toujours quelque journaliste aigri, quelque écrivain chagrin pour trouver que Djian s’essoufle. Pourtant, regardez le paysage littéraire français, ayez à l’esprit la galerie de portrait des habitués du Flore, et méditez les propos de Francis : “J’attendis quelques minutes en feuilletant un magazine de littérature - ma remarque ayant trait à la ressemblance confondante entre le physique d’un écrivain et son écriture (les mêmes adjectifs leur collaient, exactement) se vérifiait tous les jours (Donnez-moi le portrait d’un écrivain et je vous dirai comment il écrit).” Allez-y, faites défiler le trombinoscope, Rey, Onot-dit-Biot, Beigbeder, Zeller, Moix (!) etc., et dites-moi, dites-moi qui a encore du souffle en ce début d’année 2009 ?
“Impardonnables” est sans conteste un excellent cru, le problème, c’est qu’il va d’autant aiguiser votre appétit. Et vous en aurez pour un an de fringale. Un an à attendre le prochain roman de Philippe Djian.

Richard TABBI - droits réservés

Philippe DJIAN, Impardonnables, Gallimard, Paris, 2009.