dimanche, mai 11, 2008

CORMAC MAC CARTHY : LA ROUTE


Christophe Ono-Dit-Biot chroniquant dans une émission littéraire le dernier livre d’Anna Gavalda disait ne pas avoir aimé ce livre. Déployant une argumentation proche du zéro absolu, titillé par ses petits camarades chroniqueurs (l’émission en question se déroule dans une péniche, le présentateur apporte beaucoup de soin à sa chevelure, nonobstant il LIT les livres de ses invités et ses questions planent à des hauteurs vertigineuses si l’on prend pour référence le ras du sol que constituent les interviews de Guillaume D., d’Elizabeth T. ou autre Bernard P. dans un autre siècle), Christophe ODB finit par sortir l’artillerie lourde : “lire un livre, ça dépend du lieu, du moment...” Or, ce pauvre Christophe - chroniqueur littéraire à ELLE par ailleurs, rappelons-le - avoua qu’il avait lu le dernier opus d’Anna Gavalda devant un feu de cheminée, en compagnie d’amis et de quelques bonnes bouteilles de bon vin. Voilà qui s’appelle prendre son travail au sérieux ! Que l’on m’explique comment il est possible de lire SÉRIEUSEMENT dans ces conditions. Que l’on m’explique dans quelle mesure le savamment mal rasé chroniqueur - à moins qu’il ne dispose de capacité dont vous et moi, simples mortels, sommes dépourvus - est capable d’apprécier un livre d’une telle épaisseur (rappelons que le dernier livre d’Anna Gavalda est un pavé qui tranche d’ailleurs avec ses précédents ouvrages épais comme du papier à cigarette et écrits en corps 14, peut-être pour les malvoyants ?) ?
Bref, pour aller à l’essentiel, Christophe ODB finit par expliquer que, voyez-vous, dans un tel contexte, si PEACEFUL, il lui a été difficile d’entrer dans un roman si sombre, si déprimant, si INCONFORTABLE. Le propos ici n’est pas de défendre le livre d’Anna Gavalda, qui n’en a pas besoin, mais bien de pointer l’inconséquence d’un chroniqueur qui est un peu le Jean-Pierre Pernaut de la critique littéraire. Christophe, assis devant sa cheminée, une couverture sur les jambres, un verre de pinard en pogne, auteurs, ne le réveillez pas, servez-lui des amuse-gueule ensoleillés, des trucs qui ne lui demandent pas trop d’efforts, éditeurs, envoyez-lui des rééditions, des textes éprouvés dont il suffit de dire trois mots pompés ici ou là régurgités d’un air entendu. Christophe, mon ami, somnole gentiment entre les pages mode de Elle et ton miroir, mais surtout, SURTOUT, n’ouvre pas le dernier livre de Cormac Mac Carthy, ta vie pourrait se transformer en une longue succession de cauchemars et de cacas nerveux.

“Quand il se réveillait dans les bois dans l’obscurité et le froid de la nuit il tendait la main pour toucher l’enfant qui dormait à son côté. Les nuits obscures au-delà de l’obscur et les jours chaque jour plus gris que celui d’avant...”
Le ton, la couleur, sont donnés d’entrée. Ce sera comme une longue phrase qui n’en finit pas dont les points ne constituent pas des bornes mais des trous noirs qui aspirent et renvoient inlassablement vers la suite jusqu’à la fin - car c’est un livre qu’on lit d’une traite, un livre qu’on ne peut lâcher, qui vous happe -. Ce sera gris, parce que la cendre recouvre désormais le monde, parce que le temps des couleurs est révolu, parce que l’on est engagé dans un long tunnel blafard et que l’on peine à respirer. Une homme pousse un caddie de supermarché sur une route. À ses côtés un enfant - son fils-. Dans le caddie il y a tous leurs biens, tout ce qu’ils ont pu sauver, grappiller, trouver dans les ruines des cités des hommes désormais désertes. L’homme a adapté sur le caddie un rétroviseur de moto, afin de voir ceux qui peuvent arriver derrière eux. Car des êtres humains, il en reste, peu, certes, mais il en reste. Certains sont inoffensifs, comme ce vieil homme à qui l’enfant insistera pour donner un peu de nourriture. L’enfant, pas encore au fait du STRUGGLE FOR LIFE qui règne désormais sans partage. D’autres hommes se sont ADAPTÉS à la situation nouvelle, en sont revenus aux basiques de l’espèce : TUER OU ÊTRE TUÉ, MANGER OU ÊTRE MANGÉ. Dans ce monde le cannibalisme est un mode de survie, des tribus se constituent, les guerriers tatoués arborent leurs trophées, crânes peints et femelles, ils constituent des réserves de chair, corps sales et nus entassés dans des caves puantes, tomber sur l’une de ces caches, c’est risquer sa vie, c’est risquer d’être soi-même une part de cheptel.
L’homme et l’enfant marchent vers le Sud, parce que l’hiver approche, parce que le froid les tuera aussi sûrement que les humains affamés, parce que la mer reste un mirage dans ce désert de cendres. Le voyage est interminable, par endroits le bitume fond, ailleurs les montagnes soufflent leur blizzard, parfois une bicoque abandonnée livre un trésor, un abri souterrain oublié, nourriture, eau, COCA-COLA, sans qu’il soit possible de s’arrêter longtemps, parce que l’on est soi-même gibier, et que l’enfant est une proie de choix. Alors il faut repartir, pousser le caddie, jusqu’au bout de la route, jusqu’au bout de la Vie, en attendant la Mort.

Cormac Mac Carthy a reçu le Prix Pulitzer pour ce livre, soit la plus haute distinction littéraire outre-atlantique. Ce prix couronne aussi un écrivain hors du commun qui a aligné les chefs-d’œuvre, depuis SUTTREE, en passant par DE SI JOLI CHEVAUX, MERIDIEN DE SANG etc. NON, CE PAYS N’EST PAS POUR LE VIEIL HOMME a été porté récemment à l’écran par les frères Cohen.

Cormac Mac Carthy, LA ROUTE, traduit de l’américain par François Hirsch, éditions de l’Olivier, 2008.

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