mardi, juin 16, 2009

ÉQUILIBRES STATIQUES, par Simon DETREZ : C'EST DU BELGE ET C'EST DU BON !



Francophonie. En voilà un mot qui plaît quand vous parlez littérature. L’écrire va sans doute valoir à ce blog la considération distinguée du tout-web-littéraire. Mais parlant de langue, en voilà un qui affiche une maîtrise hors-pair. Simon DETREZ livre dans ce recueil 9 nouvelles, ou plutôt 9 petits bijoux ciselés, d’un nihilisme forcené, d’une beauté, parfois, à couper le souffle.
Ainsi le court interlude L’ANNIVERSAIRE D’AMBRA dessine-t-il une inquiétante trame onirique à la conclusion inattendue. DETREZ dynamite ce bon Grégoire Samsa en renversant la tendance et nous entraîne dans les méandres des rêves d’un insecte : “Sur l’horloge du salon qu’il occupait depuis deux jours il regarda l’heure : oui, il était presque temps de partir au boulot.” On laissera l’exégèse sociale aux professionnels de la vivisection littéraire.
La meilleure nouvelle du recueil est, à mon sens, PAPA NE VIENDRA PAS. Emmy est une petite fille vivant chez sa grand-mère. Son existence est planifiée dans les moindres détails, comme si elle n’avait pas une précieuse seconde à perdre. Et de fait, le monde d’Emmy est régi par une terrible menace : “À midi je suis descendue regarder la télévision et mesurer l’avancée de l’épidémie”. Ainsi son programme comporte-t-il le fait de jouer avec ses poupées : “C’est ainsi que Jessica, désormais handicapée, fut amputée d’une jambe, que je coupai au cutter au niveau du genou et dont j’enveloppai le moignon d’une courte bandelette de gaze.” On le voit, les poupées d’Emmy ont un comportement étrange, pour des poupées, l’une d’entre elles est lesbienne, une autre nymphomane... Lorsqu’Emmy programme un échange général de vêtements, la situation lui échappe.
Dans son programme figure également du dessin. Son œuvre : “des pompiers encerclaient une tour en feu de laquelle des gens tentaient d’échapper par les fenêtres en battant l’air ridiculement à l’aide d’ailes en carton fabriquées à la hâte.” Emmy terrifie l’aide ménagère de sa grand’mère, il faut dire que ça n’est pas sans raison : “Le lendemain c’était Sainte Armande, nouvelle lune (...) jour de sacrifice. Comme à chaque occasion, j’ai tranché le cou d’un poulet avec un hachoir avant de l’étriper et lancer ses viscères en l’air.” On se dit que pour une petite fille, lutter contre une épidémie est peu de chose face à un “papa qui jamais ne venait”. L’épilogue se déroule sous le regard de Dieu, lors de la messe consacrée aux premières victimes de l’épidémie. “J’avais les yeux mi-clos quand quelqu’un s’est mis à tousser dans les rangs”...
Le reste du recueil est à l’avenant, du très bon, de l’excellent. Mention spéciale pour PARANO BILLY ? qui clôt le livre. Billy, nouvelliste de son état (tiens, tiens), aux prises avec les exigences de la vie de couple, écartelé entre la Vie et l’Écriture. Billy, pour qui la fiction et la réalité se mélangent dans un joyeux bordel. Pas de doute, Simon DETREZ a la classe, celle des grands, des cadors. Je vais reprendre mon antienne, mais putain, si au lieu d’acheter les éjaculats des muges qui tiennent la tête de gondole le lectorat s’intéressait à des mecs comme Simon DETREZ, voilà qui ferait du bien à la planète, et ce sans remplir les poche de Yan Tartuffe Bertrand. Bref, tant de talent mérite un procès en bonne et due forme.

PROCÈS PUBLIC DU KAMARAD SIMON DETREZ
(L’AUTOCRITIQUE EST VIVEMENT RECOMMANDÉE)


1-Accusé Detrez, présentez-vous aux kamarads lecteurs de ce blog

SD : 37 ans, belge, ancien chroniqueur rock, Dj quand je le peux, fonctionnaire à la solde de la Communauté française, bipolaire, bordélique, borderline…(ça devrait jouer dans les circonstances atténuantes).

2-Confessez vos lectures et vos influences

SD : Au classement général (mais dans un ordre aléatoire) : La Nausée de Sartre, Le grand cahier d’Agota Kristof, L’Attrape-cœur (et les Nouvelles) de Salinger, Passer l’hiver d’Olivier Adam, La télévision de Jean-Philippe Toussaint, Chroniques de l’Oiseau à ressort de Murakami, Le pigeon de Süskind. A l’analyse : du glauque, du désarroi et de la folie nonchalante.
En musique, on tourne probablement avec les mêmes ingrédients. Je voue une admiration sans borne pour l’œuvre désabusée d’Arab Strap, pour le dark folk de 16 Horsepower et Wovenhand, pour Current 93 (ah leur mention dans le dernier Djian ça m’a soufflé), pour la simplicité poignante de Smog et de Spain (leurs « Blue Moods… »), pour la noise accablante de Slowdive, les cafards de The Black heart procession, mais aussi pour l’electro complexe de Boards Of Canada, de The Knife et de Bowery Electric, et j’en passe et des meilleurs … Mention spéciale aussi pour l’album « Quelque Part » de Mendelson, source effroyable d’inspiration.

3-Avouez les sombres raisons qui vous ont amené à l’écriture

SD : Au début probablement par ennui. Ensuite par besoin de plaire. Et puis peut être parce qu’on m’a dit à plusieurs reprises de continuer… Quoiqu’il en soit, je vous le dis sans détours : si je sors d’ici, je recommencerai.

Simon Detrez, Équilibres statiques, editions Chloé des Lys, 2008, 18,10 Euros