mardi, juin 26, 2007

NOTES DE LECTURE : AMERICAN DEATH TRIP DE JAMES ELLROY


Pete Bondurant est de retour. Bonne nouvelle. Tout comme Ward Littell. Le cœur des années 60 aux USA. Le dernier voyage de Kennedy à Dallas. Tous ces mecs en cheville avec la mafia, le FBI, le klu klu klan. De Las Vegas au Viet Nam. Où l’on croise le puissant J. Edgar Hoover, le “comte drac” Howard Hughes, Rock Hudson pour l’envers de la camera, l’immense et rousse et belle Barb, épouse du Grand Pete, mauvaise chanteuse, camée depuis qu’elle a compris ce qui s’était passé à Dallas, depuis qu’elle a compris ce qu’était le bourbier vietnamien, boucherie & narcotrafik.
AMERICAN DEATH TRIP est le second volet de la trilogie UNDERWORLD USA d’Ellroy, la suite d’AMERICAN TABLOÏD. La CAUSA CUBANA a toujours partie liée avec la CAUSA NOSTRA, les micros sont toujours planqués dans les chambres d’hôtel pour espionner les frasques sexuelles de Martin Luther King ou les aventures homosexuelles d’acteurs en vue. De quoi nourrir les pires pages de “L’indiscret”, de quoi donner à Hoover, chef redouté du FBI, de quoi tirer sur les laisses qu’il s’ingénie à passer autour des cous, de quoi attirer les mouches dans sa toile d’araignée. Bienvenue dans les égoûts étatsuniens, vaste réseau, bienvenue dans le royaume des rats, crocs, griffes & queues démesurées. La politique, putes, macs tantouzes. La politique, casinos, hôtel, compagnies de taxis. La politique, came, came, came. Transit Saïgon-LA par avion militaire, tout le monde en croooooooque. Hoover contrôle le klan, Hoover tente de contrôler les militants pour les droits civiques, Hoover voue une haine inextinguible à Bobby Kennedy. Pete perd le contrôle de la came, Pete passe ses nerfs sur les FIDELISTOS, expéditions maritimes, livraisons d’armes, scalps accrochés au bateau, rêve de Reconquista, pour la CAUSA, pour la CAUSA NOSTRA. Pete est secondé par Wayne Tedrow, Wayne dont la femme a été violée et éviscérée par un Noir, Wayne qui a passé sa vie à s’opposer à son père, raciste convainku, Grand Financeur du Klan, Wayne transformé en fantôme, Wayne qui voit désormais en chaque Noir l’assassin de sa femme. Amerika, Amerika, le Grand Merdier, 951 pages sans reprendre haleine. Un bouquin qui fera référence dans 200 ans.

Richard F. Tabbi

James ELLROY, American Death Trip, 2001, Rivages / Noir, trad. JP Gratias

lundi, juin 25, 2007

INTERVIEW DE RICHARD F.TABBI DANS LE NUMÉRO 66 DES "IMPRESCRIPTIBLES"


RICHARD F. TABBI : UN ÉCRIVAIN EN ENFER
interview par JC Dennis (extrait)
numéro 66 de la revue LES IMPRESCRIPTIBLES - été 2007

JC DENNIS : Richard F. Tabbi, pourquoi ce “F”, pourquoi Richard “F” Tabbi ? Pour vous la jouer AMÉRICANO comme Francis S. Fitzgerald, Philip K. Dick, Jerome D. Salinger ? Ou français pro-américain comme Maurice G. Dantec ? Ça sent pas un peu la frime, ça ?

RICHARD F. TABBI : Ouais, j’aurais pu choisir Richard “juste” Tabbi comme Richard Brautigan ou Jim Harrison, notez. Quant à Maurice “Georges” Dantec, je crois qu’il porte les stigmates de l’engagement communiste de ses parents. Pour ma part ce “F” est le seul lien que j’aie jamais eu avec feu mon grand-père, Francesco, un sicilien qui comme tant d’autres a quitté son île après la guerre pour venir travailler en France. Il est mort trop tôt, je ne l’ai pour ainsi dire pas connu. Et j’ai reçu son prénom sur les fonds baptismaux. Bref, pour un mec comme moi qui écrit des livres, fils de peintre en bâtiment, petit-fils d’immigré qui a sué sang et eau sur le chantier de reconstruction de la gare Saint-Charles à Marseille, c’est une manière de ne pas oublier d’où je viens. Une manière de rendre hommage à ceux qui ont travaillé de leurs mains (soit mon grand-père et mon père) pour faire de moi ce que je suis. Contrairement à ce que disent certains l’immigration n’est pas une “chance pour la France”, ni une malchance, d’ailleurs, c’est juste un fait géographico-économique. Qui porte avec lui des histoires d’hommes, de femmes, de chair, de sang. Des histoires intimes.
Voilà une photo de mon grand-père, prise dans les années 30 vraisemblablement. C’est le premier en partant de la gauche. Regardez. Regardez bien. Et vous parlez de “frime” ?

-reproduction des textes & photos interdits-

ÉGLISE, TERRE D'ASILE


Église, terre d’asile. Jane Vagin d'Enfer tassée dans le canapé, sa tête posée sur le contenu d'un cendrier renversé. Enfermé avec ma trouille, à perdre connaissance et à me réveiller comme on échappe à la noyade. Cheveux. Cendres. Pas de respiration perceptible. Je scanne le plafond. Pas de messe ce jour-là, Dieu déserte les campagnes au rythme de l’exode rural, j’étais seul, seul avec Le Crucifié, seul avec les images de ces femmes crucifiées, seul avec les obsessions de Vic La Vey. Les pales du ventilateur. Je m'efforce de suivre jusqu'à ce que la nausée m'oblige à fermer les yeux. Les tueurs. Planqué dans le confessionnal. Fausse alerte aux touristes scandinaves. Je laisse retomber mon corps sur la moquette. Allongé, ma colonne vertébrale frottant contre le ciment dur. Moquette fine, bon marché. Les montagnes ont leurs secrets. Forêts, éboulements de pierre calcaire, chêne-liège. Armoise, chevreuils dans le disque d’or de la lune. Je les observais au travers des interstices du bois. Appartement pourri. Quartier pourri. Ne plus sortir. Sauf lorsque je suis équipé. Un type m'a proposé un Derringer, j'y pense, réunir la somme, faudrait... Une famille salement brûlée par le soleil. Jane, du mouvement de son côté, toujours vivante malgré la surdose, je remarque, elle a vomi. Par terre, au pied du canapé. Je décarre en rampant, elle a laissé son sac sur la table de la cuisine, je l'aperçois, un sac de toile crasseuse, me mettre debout. Le faire. Sa mère abusait de la graisse de renne avec un cul qui aurait pu loger un tank Sherman, au contraire de sa sœur aînée qui avait tout pour jouer les premiers rôles au cinéma, excepté la crème solaire adéquate. Je pouvais sentir son odeur, mélange de transpiration juvénile et d’eau de toilette, quelque chose qui me ranima, me donna du cœur au ventre. Remember la maison posée sur le polder, nos corps humides, le ciel à perte de vue.
La bagnole enfile les rues, réverbères, au volant Le Rétamé crache ses poumons, crache et crache. La musique dans la turne, genre funky-flip, me vrille, changer de station, le bouton je le tourne. Friture. Pub. Jingles. Voix-réverb. Les trottoirs sont rose-fluo, hey je dis au Rétamé, les trottoirs... Commentaires gutturaux en norvégien, suédois ou danois, je sombrai de nouveau, chouette effraie, fantôme livide dans la lueur des phares. Route déserte. Laisse ma tête retomber vers l'arrière, demi-sourire-commissure, elle me dit tu baves. Ta gueule bébé, je dis. Le Rétamé, je comprends pas ce qu'il raconte, je comprends pas. Je me redresse à cause de ces trucs collés au pare-brise. Autocollants. KMFDM dans l’habitacle, trop fort, trop, le truc, Hau rauck, une tuerie, ah ah ah... Pourquoi tu te marres elle me demande, peux pas tourner la tête, elle, à l’arrière, tête un maousse, fleurs de colombienne, poudre, je reconnais, la connais, la Jane... Lorsque je m’éveillai la nuit s’étendait au-delà des vitraux et l’envie de pisser me tenaillait la vessie. Le Rétamé gare la bagnole, je sens, blaaam, putain, le cardan, je pense, le cardan, sais pas pourquoi, sa portière claque, il est dehors, ouvre la mienne, pas de temps mort, hé les mecs, respirer... cinq minutes. Je me glisse sur le parking, plaqué contre le mur de l’église, observant les alentours. L’air froid de la nuit, sa tronche posée face, sa putain d’haleine mortuaire, hey bouge, bouge, il me dit. Derrière, l’autre, défoncée, hurle, en appelle aux morts-vivants de Brooklyn... Rien ne bougeait, seule une chouette ululait dans le lointain. Je pissai, mon épaule me faisait mal, des blocs de fonte appuyaient sur ma tête. J’aspergeai mes converses, jurai, et retournai me planquer dans l’église, terre d’asile. Le Rétamé m’extirpe, suis sous tremblements, peux pas marcher, peux pas, t’endors pas, T’ENDORS PAS, il me dit, on avance, la ruelle infecte, des sacs d’ordures, après nous Jane cavale, kickboxe les murs, qu’ils viennent, elle gueule, QU’ILS VIENNENT, que ça finisse vite, vite, moi je dis. Les cauchemars revinrent, des démons masqués emmenaient Youna (souterrain éclairé par des torches), la déposaient sur un autel drapé de noir, Malzieu en Grande Prêtresse Luciférienne levait un couteau en parlant à l’envers.
Le comptoir est noir de désaxés et les tables sont envahies par la meute, Le Rétamé, sa carrure, sa carrure qui me plaque au comptoir, Jane qui se cogne, la musique dans ma tronche, FORT, ACID-TRASH, relents pornos de femelles-matrices, j’en peux plus je dis au rétamé, j’en peux plus... Plus une bulle d’air dans les poumons, transpiration, muscle cardiaque au taquet, goût de pourriture dans la bouche. Le mec agite ses ailes de créature, le Rétamé répète et répète, merde comprends pas, ah, ouais, pas soif, non, la Créature décolle, je suis scotché, hey Jane, Jane, t’as vu le mec, le... T’en fais pas, t’en fais pas, c’est OK, c’est le Rétamé qui le dit, Jane se fait refaire dans les gogues, c’est OK, il plisse ses yeux, bois du whiskey, le plafond descend sur les enfants de la nuit, hey, je vais lâcher, je dis au Rétamé, HEY !!! Comme ça jusqu’à l’aube, dans l’espace noir des sortilèges chamaniques. Là, sur cette terre consacrée.

Richard F. Tabbi, Aix-en-Provence, juin 2007
texte déposé - reproduction interdite
Publié dans le numéro 34 de la revue TWICE (octobre 2007)