jeudi, mars 01, 2007

GABY ET LES PATES AUX COQUILLES SAINT-JACQUES OU DU SUICIDE EN LITTÉRATURE

Ceux qui me connaissent savent que j’adore cuisiner. Je suis loin d’arriver au doigt de pied de Marc Veyrat mais je me démerde, j’ai mes trucs, même si je me reproche de ne pas assez innover. Il y a quelques jours de ça nous avions invité à dîner l’une de mes cousines, Mumu, et son mari, Gaby. Ma cousine est une cuisinière de niveau international, elle pourrait en apprendre à certains grands noms à la tête enflée sous la mitre, autant dire que je flippais, que j’ai longtemps réfléchi avant de me décider pour des pâtes (spaghettoni Barilla n°7) à la coquille Saint-Jacques. La soirée fut agréable, marquée par une discussion politique inévitable en cette période, les pâtes étaient à mon goût trop peu relevées, et le dessert fut l’occasion d’ouvrir une bouteille de Vodka ramenée spécialement de Pologne, de la Boss (spécialité de Lublin, ville natale de mon épouse, NDA) qui avait patiemment attendu dans le congélateur. Après le troisième toast de petites étoiles se sont allumées dans les yeux de tous les convives et Gaby m’a déclaré tout à trac qu’il avait lu mon roman, Zombie-planète. Cela m’a fait d’autant plus plaisir qu’il était un des rares membres de ma famille, pourtant nombreuse, à avoir eu la curiosité d’ouvrir ce livre, et qu’il était allé jusqu’au bout. J’ai encore plus apprécié les critiques qu’il a formulées. En général les gens se contentent d’appréciations vagues, disent qu’ils ont bien aimé, mais produisent rarement des critiques argumentées. En l’occurence, il en est ressorti un choc violent de deux mondes antinomiques. Comment un type qui est dans l’hyper-concret, en l’occurence la gestion d’une entreprise de recyclage préoccupé par les problèmes liés à la biomasse, peut-il réagir face à l’univers nihiliste, déjanté, désespéré, au no future qui hante les pages de Zombie-planète ? Surtout, au centre de tout ça, comment peut-il seulement imaginer un personnage tel que le narrateur, qui décide de prendre sa retraite à trente ans ? (“J’avais eu tout à coup une espèce de révélation d’une intensité mystique sans précédent. Un peu comme si mon cerveau, après être resté longtemps dans le tambour d’une machine à laver, était suspendu au soleil sur une corde à linge. Lumière et chaleur. Clarté. Je voulais prendre ma retraite à trente ans.” ZP, p.39) C’est à cette question que je voudrais tenter de répondre, et c’est bien là l’objet de ce petit texte. En réalité, pour le narrateur, “prendre sa retraite à trente ans” signifie se retirer du jeu, et cela à deux niveau. En premier lieu cela correspond à son entrée en littérature. Car devenir écrivain implique une “mort sociale”, plus ou moins voulue, plus ou moins programmée. Je m’explique. Être écrivain correspond à un statut social privilégié, reconnu, À PARTIR DU MOMENT OU VOUS VENDEZ DES LIVRES, où l’on vous voit dans les médias, où l’on vous invite dans les émissions littéraires. Remarquons que dans ce cas de figure la reconnaissance n’a rien à voir avec le talent. Cela peut coïncider dans le cas de Jim Harrison, ou l’exposition médiatique peut être proportionnellement inverse à celui-ci comme dans le cas de l’insignifiant Nicolas Rey ou celui de Florian Zeller à l’impayable mise en plis. Si, par malheur pour vous vous vendez peu, êtes peu médiatique, voire confidentiel, alors là LE STATUT D’ÉCRIVAIN EST UN BOULET, on vous prend en général pour un doux rêveur dans le meilleur des cas, pour un branleur dans le pire. Et pourtant, une journée d’écriture c’est parfois 10-12 heures devant son clavier, il n’y a ni week-ends, ni congés payés, et bien sûr très peu de fric à la clé. On le voit, devenir écrivain, c’est donc bien se retirer du jeu social, c’est le renoncement absolu au confort matériel et moral. C’est, en dernière analyse, une forme de suicide. C’est là le deuxième niveau de lecture d’un roman comme Zombie-planète qui n’est pas autre chose que le récit du lent suicide du narrateur. “Prendre sa retraite à trente ans”, ah ah ah. Qui peut croire ça ? Il faut lire : ”Je renonce à vivre à partir d’aujourd’hui, à partir de ma trentième année”. Zombie-planète n’est pas un roman autobiographique, je supporte mal l’autofiction qui sent son Saint-Germain des Près faisandé, ces petites historiettes mal ficelées qui se ressemblent toutes et ont valu le Prix de Flore à Nicolas Rey, encore lui. Par contre, Zombie-planète est sans doute le résultat d’un passage au SCANNER MENTAL, un engin à inventer de toute urgence.

Richard F. Tabbi

1 commentaire:

quandlanuitsetendelleselaissetomberauhasard a dit…

salut..
je suis persuadé que si tu épices un peu plus tes spag' je te confierais quelques secrets culinaires du béotien que je suis même si beaucoup autour de moi apprécient mes essais de mix grapillés dans les cambuses du monde entier... par ailleurs bien que loin de tes compétences litteraires je tenterai de me rappeler ce que j'ai écrit sur ton bouquin qu'il faut absolument que je relise avec du recul en me détachant de ton image que j'aperçevais à chaque paragraphe... j'en garde un excitant souvenir décousu (de ma lecture ou de ton écriture ??!!??) mais j'ai passé un excellent moment dans ton road movie déjanté dans lequel j'ai reconnu -collé? rêvé? cherché?- des heures et des flashs de nos égarements lozériens... bien que tu te défendes d'une quelconque part autobiographique. En attendant j'ai Orgie> de J.Fante qui traine sur une étagère.. et s qu'il sera possible de faire parvenir de la lecture à moindre frais je suivrai quelques uns de tes conseils...

ErgVadraic