lundi, mai 28, 2007

DONDOG, D'ANTOINE VOLODINE OU LA MÉMOIRE MORTE D'UN FUTUR EN DÉCOMPOSITION


La mémoire morte d’un futur en décomposition. L’exploration des conduites noirâtres du possible. Le souvenir des mondes parallèles qui hantent la géographie de nos cerveaux malades. Ouvrir un livre d’Antoine Volodine c’est entrer dans le réseau complexe d’un terrier aux multiples ramifications. Qui est Dondog Balbaïan ? Un humain ? Une blatte ? Un untermensch ? Le tout à la fois, question de point de vue, de référent temporel, de barreau sur l’échelle des univers chamaniques. Dondog doit se venger, il ne sait plus très bien pourquoi, il a passé quarante ans dans les Camps qui couvrent la planète. Quarante ans à perdre sa langue, à écrire des récits d’où la conjugaison des verbes est absente : ni présent, ni passé, ni futur : “Le monologue de Dondog a été monté en septembre par le Big Grill Theatre, dans la banlieue ouest du Camp 49-111, et il est resté à l’affiche quatre semaines.” Septembre ? OK, mais septembre de quelle année ? “Je ne sais plus, dit Dondog. En tout cas, c’était avant ou après l’année où les tempêtes ont réduit l’Amérique du Nord à l’âge de pierre.” Le monde de Dondog est un Possible : “Une des obsessions narratives de mes personnages consiste à revenir sur les sacrifices inaboutis, et sur l'obscène catastrophe que représente l'échec du projet révolutionnaire au XXè siècle. Ils racontent cela, les guerres, les souffrances, les exterminations, les totalitarismes, les ratages, depuis un espace-temps où je les mets en scène, depuis leur prison, depuis leur mort, depuis des mondes imaginaires et parallèles.” (A Volodine, Entretien). Volodine est Ailleurs, il a d’ailleurs forgé la théorie du POST-EXOTISME. “J'affirme mon droit à la différence, le droit d'explorer comme je l'entends un petit territoire d'exil, loin des écoles, loin des académismes marchands, loin de tout.” (A Volodine, Entretien) De quoi donner des migraines aux explorateurs contemporain du nombril ou aux fossiles tentant d’exhumer de leurs cendres les idéologies nauséabondes qui ont fait le malheur du XXeme siècle. “Il fallait les masques spéciaux avec leur optique spéciale, tout cet attirail que les hommes de la fraction Werschwell s’étaient fixé sur le visage dès que le crépuscule avait commencé à épaissir. Avec de tels verres merveilleusement étudiés par les savants, les tueurs restaient toute la nuit imperméables à la nuit et au sang des Ybürs qu’ils extrayaient de leurs maisons pour les transformer en déchets et en cadavres. Ils voyaient tout comme en plein jour, ce qui facilitait énormément les assassinats. De surcroît, un filtre avait été inséré entre les lentilles et les miroirs, un filtre qui faisait dévier le regard quand l’abomination du nettoyage ethnique devenait plus triviale que théorique, et quand la crudité des détails de la boucherie risquait de sauter aux yeux et de troubler la fragile rétine des tueurs. Ce filtre empêchait le regard de se fatiguer, et donc permettait aux gestes du massacre d’être reproduits indéfiniment et sans qu’intervienne un sentiment de saturation.
On avait déjà atteint une période de l’histoire humaine très sophistiquée dans le domaine des prouesses technologiques, dit Dondog.
L’intelligence humaine et militaire était à son zénith, dit Dondog.”
Génocide, Solution Finale, dékoulakisation, purges, goulag, Révolution Culturelle, Khmers Rouges, Ex-Yougoslavie, Rwanda, Darfour, la liste est longue, longue, dans la nuit de l’humanité. Dondog est un sur-vivant. Mort de l’étreinte d’Éliane Hotchkiss à la veille de sa libération, errant dans la cité sombre au rythme des tambours chamaniques, porté par l’idée de vengeance. Des noms, Gabriela Bruna, Tony Bronx, Gulmuz Korsakov. En quoi sont-ils responsables de son malheur ? Faudra-t-il inventer un prétexte pour les tuer comme Dondog écrivait des récits dans les Camps sous le pseudonyme de John Puffky ? L’eau goutte dans la cité, les bêtes grignotent au bout des couloirs, les cafards se chevauchent ou s’achèvent les uns les autres. Une taverne obscure, des putains et des insectes gigantesques qui s’entretuent pour la possession des femelles. “Tu vois, loqueteux. Tu gaspilles ton temps dans la boue des rêves, dit Tony Bronx.” C’est tout pour la vie de Dondog. Quant à Antoine Volodine il continue à “pratiquer la littérature à la manière d'un art martial, en s'engageant complètement dans chaque livre, comme s'il devait être le dernier avant la mort...» (A Volodine, Entretien)

DONDOG, Antoine Volodine, Seuil, 2003.

1 commentaire:

Jean Argenty a dit…

Ai lu Dondog, Ah lala eh ben, jamais rien lu d'aussi noir, d'aussi sombre, d'aussi horriblement beau en même temps. Suicidaires s'abstenir d'urgence à moins que... le contraste aidant.

Encore merci pour le conseil de lecture.