mercredi, octobre 24, 2007

PHILIP K. DICK ULTRAVIVANT


Tout le monde connaît les adaptations plus ou moins réussies des romans de Philip K. Dick, Blade Runner, Minority Report, Total recall. On ne saurait que trop conseiller de se plonger sans modération dans une œuvre foisonnante, certes, inégale, parfois, mais toujours déstabilisante, prophétique et profondément humaine. “Ubik”, “Substance Mort”, “Le maître du Haut-Château”, “Le Dieu venu du Centaure”, “L’invasion divine”, autant de chef-d’œuvres qui vous feront regarder le monde qui vous entoure d’un autre œil.
Qu’est-ce qui est réel dans ce que Je perçois ? Notre cerveau est une entitée abreuvée d’informations par nos sens mais existe-t-il une interface susceptible de se glisser entre eux ? Est-il possible de contrôler, de modifier le flux informationnel qui va de l’un à l’autre ? En ce cas, quelle est la véritable nature de la RÉALITÉ ? Le cerveau de Philip K. Dick aurait dû durer cent mille ans - dixit l’un de ses éditeurs - et Dieu sait ce qu’il aurait été capable de produire dans son “anticipation psychologique du futur” (cf l’excellent documentaire de Thomas Cazals, “Adickted”).
“Glissement de temps sur Mars” est un roman “dickien” typique. Jack Bohlen est réparateur sur Mars, planète aride récemment colonisée par les Terriens en manque d’espace. L’espèce autochtone - les Bleeks à la peau noire, en fait une branche de l’humanité - est quasiment réduite en esclavage, ou condamnée à errer dans le désert martien. Bohlen souffre de schizophrénie, comme de nombreux humains, maladie de l’incommunicabilité générée par les structures mêmes de la société terrienne reproduite sur Mars. Il va être amené à construire une machine à communiquer avec les autistes, en l’occurence un jeune garçon, Manfred Steiner, qui a la capacité de lire l’avenir, et que l’employeur de Bohlen veut contrôler pour de sombres raisons spéculatives.
Le génie de Dick consiste à vous faire entrer dans les cerveaux de Bohlen et de Manfred. Manfred qui voit ses interlocuteurs tels qu’ils seront lorsque la mort les aura RONGÉS, des amas de tissus en décomposition, des organes en déréliction, il se voit lui-même à la fin de sa vie, homme-machine, “assemblage de pompes, de tuyaux, de cadrans; toute une machinerie cliquetante qui déployait une activité continuelle” et revient dans le passé voir sa mère horrifiée par cette CHOSE qui l’appelle MAMAN.
Quant à Bohlen le contact avec le jeune garçon ravive sa schizophrénie et il perd complètement la notion du TEMPS. Dick revient plusieurs fois sur la même scène, variant les points de vue, scannant à chaque fois avec acuité les cerveaux de ses personnages. Au final, vous ne verrez plus jamais les gens qui vous entourent de la même manière et vous vous défierez des informations que vous procurent vos sens. Et vous aurez sans doute raison.

Philip K. Dick, “Glissement de temps sur Mars”, Robert Laffont, 1981. Titre original : “Martian time-slip” (1964)

Richard F. Tabbi - droits réservés.

1 commentaire:

Lucien Suel a dit…

Ah, Le dieu venu du Centaure. En le lisant, je me suis surpris à regarder autour de moi, ayant de sérieux doutes sur ma propre réalité...