samedi, octobre 20, 2007

BENACQUISTA, JONQUET, MANCHETTE : BACK IN BLACK


Rentrée littéraire ? Bof, restons dans l’apériodique, l’inactuel, l’a-commercial, l’hommage, pourquoi pas ?
D’abord Tonino Benacquista que je n’avais jamais lu. Tonino Benacquista est une référence du roman noir, adapté à plusieurs reprises au cinéma avec plus ou moins de bonheur (“Les morsures de l’aube”, “l’Outremangeur”), scénariste et ami de Bertrand Blier (“Sur mes lèvres” et “De battre mon cœur s’est arrêté”, deux films extraordinaires pour le coup). La collection Folio Policier a eu la bonne idée de publier ses quatre premiers romans noirs dans un recueil. “La maldonne des sleepings” (Gallimard, 1989), “Les morsures de l’aube” (Rivages, 1992), “Trois carrés rouges sur fond noir” (Gallimard, 1990), “La commedia des ratés” (Gallimard, 1991). Quatre romans, quatre petits chef-d’œuvre, Benacquista a le don de la narration, ouvrez un de ses bouquins et vous ne pourrez plus vous arrêter. Prenez “La maldonne des sleepings”. Un huis-clos dans le Paris-Venise, les quelques heures que durent l’aller-retour, rien d’épique, et pourtant. Benacquista s’est servi à la perfection de sa propre expérience pour bâtir un roman qui tient avant tout par le style. Ils ne sont pas nombreux dans ce cas, Céline disait qu’il n’avait rien à faire des histoires, qu’il y en avait plein les journaux, et Benacquista a retenu la leçon. Le lecteur est suspendu à son Verbe. Dans “Les Morsures de l’aube”, qu’y-a-t-il de remarquable ? Le personnage d’Antoine, parasite mondain ? Les vrai-faux vampires Jordan et Violaine ? L’univers de la nuit et ses videurs, ses petites frappes ? Non, ce qui est remarquable, c’est la manière dont Tonino Benacquista vous embarque, la manière avec laquelle il arrive à vous faire oublier que vous lisez. Dans “Trois carrés rouges” etc. vous vous piquerez de billard et de peinture contemporaine même si ça n’est pas votre tasse de thé. Parce que ce diable de Benacquista n’a pas son pareil pour construire un univers et vous y entraîner. Et que dire de la virée au cœur de l’Italie de “La Commedia des ratés” ?
Fiez-vous au jugement d’un rital, un type qui est capable d’insérer de cette manière la recette des pâtes all’arrabiata dans un livre n’est pas n’importe qui. Décidément le lycée Romain-Rolland d’Ivry sur Seine a produit de sacrés cracks.

Tonino Benacquista, quatre romans noirs, Gallimard, 2004, coll. Folio policier.


Restons dans le Noir avec “Mygale” de Thierry Jonquet.
L’un des livres les plus effrayants qu’il m’ait été donné de lire. Un puzzle abyssal qui se met en place de manière implacable, un livre court, mais d’une densité irréelle où se mêlent sadomasochisme, transsexualité et vengeance. Un livre venimeux, déstabilisant pour le lecteur qui s’ordonne autour de quelques éléments, une femme recluse, un chirurgien plasticien, un gangster en cavale, et qui multiplie les voix, les points de vue jusqu’au vertige. Qui est cet être capturé comme un animal et traité comme tel au fond d’un cage par “Mygale” ? Mygale qui lui apporte sa nourriture dans une gamelle pour chien, qui le tient attaché, qui le laisse uriner, déféquer, littéralement pourrir dans cet espace clos.
Séquestration. Destruction de la personnalité, de son essence physique. Terrifiant.

Thierry Jonquet, Mygale, Série Noire, 1984


Dans la galaxie du Noir comment ne pas rendre hommage à Jean-Patrick Manchette, qui me fut chaudement recommandé à l’époque où je vivais au Havre, ville éminemment littéraire, théâtre idéal de cette littérature en contrepoint du jour qui hante la Série Noire.
“Fatale” est aussi un court roman d’une densité stupéfiante. Bléville, ville imaginaire, image de la france des années soixante-dix, avec ses notables, notaires, industriels, médecins, ses exclus(un noble déclassé considéré comme fou, bien que profondément lucide sur la pourriture qui ronge l’os du pouvoir et de l’argent - tiens, tiens) et cette étrange tueuse, qui débarque, décidée à “les faire payer”.
Manchette était un géant, l’héritier français de Hammett et Chandler, et personnellement je me fiche de la sauce révolutionnaire qui imprègne ses livres. L’important, à mon sens, n’est pas là. Encore une fois c’est la littérature qui gagne, et, finalement, la lecture marxisante et moraliste de l’intrigue - faire payer ces salauds de riches pour leurs magouilles, leur vie dissolue - est un peu simpliste. Dommage parce que l’écriture est à la hauteur et que ce livre reste suspendu dans une intemporalité qui n’a d’égale que la noirceur des personnages mis en scène. On se fout bien du pourquoi Aimée - la tueuse - agit, mais on s’intéresse prodigieusement au comment.
L’art gagnerait parfois à plus d’humilité, à ne pas se fourvoyer dans le mélange des genres. Cela étant posé, retirez la gangue bien-pensante qui enserre une bonne partie de la production contemporaine et il ne vous restera rien entre les mains. Chez Manchette, c’est un joyau pur, aveuglant, qui subsiste. Et “bien-pensant” ne fait pas partie de son vocabulaire.

Jean-Patrick Manchette, Série Noire, 1977.

Richard F. Tabbi - droits réservés.

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