samedi, février 25, 2012

LE CHANTEUR DE GOSPEL, par Harry CREWS : Hail to the Freaks !


Le but de cette chronique n’est pas de renseigner le lecteur sur ce qu’il doit considérer comme un bon livre. Si c’est un gourou que vous cherchez, dîtes-vous que ceux qui s’autoproclament dépositaires du bon goût ne sont que des imposteurs lestés d’ego gonflés comme des zeppelins. Votre serviteur sait foutrement la somme de travail et de doutes que suppose la ponte d’un livre, et il respecte les romanciers. Autrement dit, si les snipers de la toile vous font mouiller, vous en trouverez sans peine ailleurs, ils sont légion à se la péter. Non, moi mon domaine c'est le partage, moi je vous cause plaisir de lecture, qui aime me suive. Mais trêve de branlette, le territoire étant marqué, entrons dans le vif du sujet…

Après s’être affranchi du bled de rednecks marécageux qui l’a vu naître, Le Chanteur de Gospel, enfant du pays déifié, est de retour à Enigma. Les autochtones, vulgum porcus, péquenots sordides enlisés dans la misère, lui vouent un véritable culte. Ils considèrent l'enfant prodigue comme l’instrument du Tout-puissant quand lui ne rêve que d'une seule chose... faire mousser le créateur.

Le Chanteur de Gospel, archange paillard qui se tape des putes et détrousse les vierges au terme de chaque revival, voyage à travers tout le pays, flanqué d’un imprésario mystique et passablement déglingué. Un drôle de zèbre échappé de l'asile, qui le contraint de faire pénitence en psalmodiant à genoux dans un placard. Le dévot sado a trouvé son maso ; car culpabilisant d’utiliser les voies du Seigneur pour assouvir sa libido, Le Chanteur de Gospel accepte ces punitions sans regimber. Histoire d’expier ses péchés de chair.

Le Chanteur de Gospel a bien essayé d’améliorer le quotidien de ses proches mais le foyer qu’il leur a fait construire est assiégé par les porcs de son père qui leur a sciemment donné accès à la maison. Ses frères et sÅ“urs, piètres artistes de Rock n’roll, envient sa condition d’icône adulée et caressent le rêve d’entrer dans sa lumière. Quant à sa mère, elle le supplie de renoncer à cette carrière qui le tient loin des siens, loin de ses bras possessifs mais néanmoins aimants.

Mais surtout, il y a MaryBell Carter, second astre de cette bourgade mal dégrossie à la faune primitive et hideuse. Seconde fierté d’Enigma et petite-amie présumée du chanteur. Malheureuse égérie récemment poignardée au pic à glace à 61 reprises par un natif des quartiers noirs ; Willalee Bookatee, pauvre hère croupissant dans sa cellule moisie, attendant non pas d’être jugé mais plus sûrement d’être lynché sous peu.

Dans ce roman glauque, qui ne fera pas fuir les athées, bien au contraire, on croise aussi la route d’une troupe de Freaks itinérante qui suit le parcours du célèbre chanteur, profitant de ce qu’il déchaîne les passions pour attirer les foules.

Rongés de culpabilité, écrasés par le poids d’un destin délétère, tous les personnages d’Harry Crews sont autant complexes que tordus ; torturés volontaires vrillés par leurs pulsions et promis au châtiment. L’auteur n’a pas son pareil pour mettre au jour la rapacité, les mesquineries et autres avilissements du genre humain. Fort de son vécu et de rencontres hors du commun, Crews croque avec férocité ces êtres disgraciés, indifféremment broyés par leur handicap ou leur don. Et l’auteur décrit sans aménité tout ce petit monde au moyen d’une prose poétique et noire, venimeuse à souhait, qui fait vivre le moindre élément du décor et fait naître chez le lecteur des images qui resteront scellées dans sa tronche pour un moment. Le sexe exsude de certaines pages, la bêtise, crasse, impitoyable, dispense une mort aveugle au cours de scènes démentes.

Ce livre est une perle noire dont je ne saurais trop vous conseiller la lecture. Pour ma part, je lirai les autres bouquins du Monsieur... qui aime suive on vous dit !


Le Chanteur de Gospel, par Harry CREWS, éd. Gallimard.

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