samedi, novembre 01, 2008

SAINT FRANÇOIS D’ASSISE ENTRE TRADITION ET MODERNITÉ


CRUCIFIXION 2, acrylique originale & traitement informatique, Richard Tabbi, droits réservés - reproduction interdite.

Saint François d’Assise est né à la fin de l’année 1181, il meurt le samedi 3 octobre 1226, est canonisé deux ans plus tard, en juillet 1228, par le pape Grégoire IX. Entretemps, l’Ordo Fratrum Minorum qu’il a fondé, a essaimé à travers l’Europe et même au-delà, avec le succès extraordinaire que l’on sait. Le problème avec François d’Assise, dès lors que l’on se penche sur sa figure, est l’écran de fumée que constituent les multiples sources tardives qui ont contribué à forger l’image d’un saint occupé à parler aux oiseaux, une sorte de hippie itinérant affairé à fustiger les riches et portant sa pauvreté comme un étendard.
En réalité, l’homme était surtout préoccupé d’obéissance - à Dieu, à la hiérarchie ecclésiastique - terme relevé à 54 reprises dans les textes attribués, directement ou indirectement, au saint. Précisons en effet qu’il existe un corpus de textes édités par les pères Desbonnets et Vorreux (Saint François d’Assise, Paris, 1968), traduits et accessibles, ayant fait l’objet d’une étude critique et présentant l’intégralité des écrits que nous a laissés saint François d’Assise, parmi lesquels, entre autres, les deux Règles, le Testament, des Lettres, des Prières et le remarquable Cantique de frère Soleil, écrit en langue vulgaire. On sait que de fortes dissensions ont vu le jour au sein de l’Ordre Franciscain après la mort de François ( et déjà de son vivant), nul n’a oublié la querelle des spirituels et des conventuels qu’Umberto Ecco a cru bon de romancer en prenant parti pour les uns contre les autres (Le nom de la rose), signe que les passions, après presque huit siècles, ne sont pas apaisées.
Bref, la vie de François d’Assise est devenue un enjeu - religieux, politique, spirituel, social - et nombre de lecteurs des Fioretti auraient été bien inspirés de remonter aux sources de la pensée franciscaine. Ils y auraient trouvé une rigueur toute empreinte de l’esprit rude des ascètes des premiers temps de l’Eglise, et une organisation qui rappelle somme toute le monachisme. Rien en tout cas de révolutionnaire, rien qui place le frère franciscain ailleurs qu’à l’intérieur de l’Eglise et de sa hiérarchie.

Concrètement, on trouve dans les Ecrits de François d’Assise de nombreux aspects qui rappellent la vie monastique. Prière et vie contemplative, associées à des exigences purement ascétiques, relèvent d’une typologie de la sainteté conforme à l’idéal traditionnel de la fuite du monde. Ainsi dans le Testament, François écrit Nous disions l’office, les clercs comme les autres clercs. Cela montre qu’au moment où il entame une rétrospective sur les premiers temps de l’Ordre, il place la prière des heures canoniales parmi les signes de vie les plus éminents de sa communauté de frères. La précision secundum alios clericos signifie simplement : selon l’usage des lieux où ils vivaient, car il existait dans l’Occident Chrétien à l’époque de nombreuses manières de célébrer l’office. Pour enfoncer le clou on pourra faire remarquer que tout le chapitre III de la Regula non bullata est consacré à l’office, preuve que cet aspect était pris au sérieux.
La Règle définitive, plus dense, offre une vision très claire de la manière dont la prière rythme la vie des frères :
Que les clercs fassent l’office divin selon l’ordo de la sainte Eglise romaine, excepté le psautier, c’est pourquoi ils pourront avoir des bréviaires. Que les laïcs disent vingt-quatre Pater noster pour matines, cinq pour laudes; pour prime, tierce, sexte et none, sept pour chacune de ces heures; pour vêpres, douze; pour complies, sept.
Le temps est donc divisé selon les heures canoniales, à l’instar de la règle de saint Benoît, ce qui rappelle précisément la vie des moines et des chanoines réguliers. Rarement souligné dans les travaux consacrés à François d’Assise, l’importance de l’office fonde pourtant quasiment la conversatio des Frères Mineurs. On retrouve cette organisation dans la Règle des ermitages :
et qu’ils disent toujours complies du jour aussitôt après le coucher du soleil; et qu’ils s’appliquent à garder le silence ; et qu’ils disent leurs heures; et qu’ils se lèvent à matines et cherchent d’abord le royaume de Dieu et sa justice. Et qu’ils disent prime à l’heure qu’il convient, et après tierce qu’ils rompent le silence. Et après cela qu’ils disent sexte et none, et qu’ils disent vêpres à l’heure qu’il convient.
Dans cet opuscule on trouve une ébauche de vie conventuelle, essentiellement caractérisée, comme on l’a vu, par la prière des heures canoniales. Mais, plus que cela, il s’agit d’une véritable charte de la vie contemplative :
Que ceux qui veulent rester religieusement dans les ermitages soient trois frères ou quatre ou plus; que deux d’entre eux en soient les mères et aient deux fils ou un au moins. Que les deux qui sont les mères mènent la vie de Marthe et que les deux fils mènent la vie de Marie; et qu’ils aient un enclos dans lequel chacun aura sa cellule ou il priera et dormira.
Basé sur l’épisode de Marthe et Marie dans l’Evangile de Luc (Luc, 10, 38-42), François définit une manière de vivre basée sur les paroles du Christ. On le sent soucieux d’élaborer une communauté vivant de manière harmonieuse, les uns se préoccupant de l’intendance (vie de Marthe), les autres s’adonnant à la vie contemplative (vie de Marie).

On perçoit donc, dès les origines de l’Ordre, une ébauche de vie conventuelle et des aspirations érémitiques qui font contrepoint à la vie itinérante habituellement retenue. Bien loin du mouvement “évangélique” qui occupe les consciences à son époque, François semble puiser incessamment aux racines du christianisme. Ainsi, si l’on regarde de plus près la manière dont François aborde l’ascétisme dans les Admonitions :
Chacun a en son pouvoir l’ennemi, c’est à dire le corps par lequel il pèche. Heureux, dès lors, le serviteur qui tiendra toujours captif cet ennemi livré en son pouvoir et se gardera sagement de lui : tant qu’il fera cela, aucun autre ennemi, visible ou invisible, ne pourra lui nuire.
On peut voir là, bien sûr, une référence à l’évangile de Mathieu (24,46) et à la parabole du serviteur heureux. Mais la fin de l’extrait fait directement référence aux Institutions Cénobitiques de Jean Cassien. Ce dernier, moine puis ermite dans les déserts d’Egypte, écrivit peu après 420 cet ouvrage destiné aux moines d’Occident. On voit donc la pluralité des influences à l’œuvre dans les écrits de François, ce qui se conçoit, mais surtout on soulignera le rattachement à la tradition ascétique du monachisme. Il s’agit de maîtriser et discipliner le corps, car d’évidence tout ce qui est refusé à la chair profite à l’âme. En ce sens, la chasteté et le jeûne sont les contraintes ascétiques primordiales que l’on retrouve dans les règles franciscaines (cf Jacques PAUL).
L’abstinence sexuelle est également un thème important, inséré dans les trois prescriptions de base au chapitre I des deux Règles : La règle et la vie de ces frères est celle-ci : vivre dans l’obéissance, dans la chasteté, et sans rien en propre. Et encore : Que tous les frères, où qu’ils soient, où qu’ils aillent se gardent du regard mauvais et de la fréquentation des femmes (...) car, dit le Seigneur “Qui regarde une femme pour la convoiter à déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur”; et l’Apôtre : “Ignorez-vous que vos membres sont le temple de l’Esprit-Saint ?” Pour ceux qui succombent, le verdict est sans appel, toujours dans la Règle : Si l’un des frères à l’instigation du diable forniquait, qu’on le dépouille de l’habit qu’il a perdu par sa honteuse iniquité (...) qu’on le chasse complètement de notre religion.
La référence à Mathieu donne comme une coloration évangélique, les frères sont en partie destinés à aller dans le monde, ils sont plus exposés que ceux qui vivent à l’abri des tentations, cloîtrés. En définitive, François reprend le schéma ascétique en vigueur dans les monastères en l’adaptant à sa propre conversatio. Le comportement de sainteté ne peut être réduit à une dimension unique, certes, mais l’objet de ce petit texte est bien de montrer à quel point la tradition pèse sur l’inspiration franciscaine des débuts.

Richard TABBI

Ce texte est en grande partie tiré d’un travail que j’ai effectué sous le titre “Saint françois d’Assise et le comportement de sainteté”, Université d’Aix-Marseille I, ss dir J. PAUL, 1991 - droits réservés Université de Provence.
Pour le compléter, on lira avec profit : Kajetan ESSER, Origines et objectifs primitifs de l’Ordre des Frères Mineurs, Paris, 1983; Jacques PAUL, L’église et la culture en Occident, Paris, 1986; Dom Jacques DUBOIS, Les ordres monastiques, Paris, 1985; Thaddée MATURA, Le projet évangélique de François d’Assise aujourd’hui, Paris, 1977.

1 commentaire:

TABBI richard a dit…

Bravo pour ton "crucifixion", il est vraiment très bien avec ce traitement informatique. Il tombe à propos pour ton texte que j'ai lu jusque au bout.
Bien sûr, pour moi, c'est un peu ardu car je n'entends goutte à cet univers, néanmoins l'éclairage sur certaines choses est très enrichissant et est superbement bien écrit.
A+
Pat