jeudi, mars 06, 2008

MILLION DOLLAR BABY, F.X. TOOLE


Il y a des livres qui suintent la sueur. Je pense à ceux de John Fante, par exemple, dont on sent qu’ils sortent des tripes, dont on sent qu’il sont la voix de ceux dont les mots sont rarement couchés sur les pages d’un roman. Ils livrent une vérité brute imprégnée de sang, d’odeurs, une littérature populaire au sens noble du terme. Qui peut mieux que Fante parler des conserveries de poisson de Los Angeles, dans lesquelles il a travaillé lorsqu’il était sans un ? Qui mieux que Charles Bukowski peut parler des quartiers de bœufs qu’il lui fallait se trimballer lorsqu’il prenait les boulots qui se présentaient à lui, parce que c’était une question de SURVIE ? C’est là une conception de la littérature bien évidemment incompréhensible aux ectoplasmes germanopratins dont le nom est gravé sur les verres du café de Flore. Alors, disons le tout net aux amateurs de Zeller, de Rey et autres, n’ouvrez pas ce livre, vous risqueriez de finir asphyxiés, laminés, KO...
F.X. TOOLE est le pseudonyme de JERRY BOYD (1930-2002), entraîneur de boxe, son livre a été salué par James Ellroy, rien de moins, grand amateur de boxe devant l’éternel. Sans doute faut-il vivre avant d’être écrivain, ce qu’a fait Boyd. Le résultat est colossal. Chacune des six nouvelles est un modèle du genre, essayez de tenir dix pages sur un combat de boxe, du premier au douzième round (“Combattre à Philly”). Vous êtes là, sur le ring, à prendre des directs en pleine tête, chaque mot vous défonce l’estomac, chaque virgule vous rentre dans les côtes. Vous êtes loin du pays où les écrivains détaillent les contours de leur nombril, et c’est délicieux. Bien sûr, la nouvelle éponyme, l’histoire de Margaret Mary Fitzgerald, adaptée au cinéma par Clint Eastwood, vous tirera des larmes. La tragédie rôde autour du ring, comme à chaque fois que les hommes - et les femmes - mettent leur vie en danger.
Mais Boyd est un vieux briscard qui a suffisamment fréquenté l’espèce humaine pour avoir les yeux en face des trous. “Traces de cordes” est un exact résumé du merdier multiethnique qui agite Los Angeles. Loin des rêves de nos belles âmes, les tensions sont vives, bien réelles, blancs, noirs, hispaniques, cohabitent difficilement, et la valeur humaine est sans aucune corrélation avec la couleur de peau. À ce propos, le portrait d’Air Jordan est saisissant, une belle ordure, archétype du gangsta raper, petit néofasciste faisant régner la terreur, ne supportant pas que d’autres, partageant la même couleur de peau, puissent s’en sortir. Pas facile d’être Noir aux États-Unis. Mais essayez d’être irlandais dans certains quartiers de Los Angeles, pour voir. La boxe, comme le roman noir, est un exact miroir de la société des hommes. Boyd et Ellroy l’ont compris.

Richard F. Tabbi
-droits réservés-

F.X. TOOLE, Million Dollar Baby, traduit de l’anglais par Bernard Cohen, Albin Michel, 2002

4 commentaires:

Jean Argenty a dit…

Salut,

Je suis un peu décalé par rapport à ton billet, désolé, mais j'ai envie de m'adresser à toi. J'ai vu le film ceci dit, très bon.
Je t'écris parce que je trouve chez toi certains échos à mon existence, des références communes aussi, Dantec, Magma, et d'autres. Je suis musicien aussi et écrivain.
Découvert à l'occasion Parisatori, très intéressant, ça me plait et tes textes aussi.
Tu as un accent que je connais, de vers chez Nougaro.
Tu peux me rencontrer en cherchant "Le monde de Pataty".
A bientôt si tu veux.

jean

TABBI richard a dit…

Cher Jean,

merci pour tes mots, Dantec, Magma, Giger, Nougaro, effectivement je me sens en terrain de connaissance. Je suis allé voir "Le monde de Pataty" et je ne saurai que trop le conseiller aux autres lecteurs de ce blog, d'ailleurs je le rentre en lien.

A très bientôt.

christophe a dit…

Tiens donc, ca resonne famillier tout ca, magma, giger ... udu wudu ?
c'est bien lui qu'a dessine la pochette urgo gorgo, right ?

bon puis ellroy fante et le reste, v'la un blog en plus dans mes fav ...
genre j'en avais pas assez.

christophe a dit…

ouais bon ok

c'est attahk