vendredi, mars 20, 2009

TOUTES CHOSES AYANT OUBLIÉ LA RACE HUMAINE


photo & traitement machine Richard TABBI - reproduction interdite.

Il y avait encore des morceaux de chair accrochés aux murs, Ils avaient grimpé le long des parois en utilisant les anfractuosités, Ils y avaient laissé leurs genoux et leurs ongles. Je savais que c’était inutile. Je pensais à tous ces souvenirs fixés sur les albums holographiques, ma mère aimait exposer ces photos, moi j’aurais voulu effacer toutes ces traces. Bien sûr, je sais me montrer à l’écoute des attentes des clients, et adapter mon registre de conversation à ceux-ci, j’ai exercé divers petits métiers qui réclament patience, maîtrise de soi, et attention. L’avènement des trains à grande vitesse réduit les distances et les morts et les vivants pourraient presque s’étreindre. Un autre jour, une autre nuit, la terre a tremblé sur son axe, un autre jour, une autre nuit :

Rouge - vert - rouge - vert - rouge - vert
Le dialogue des plantes se poursuit
Les sachets plastiques meurent sur la terrasse
Le crépis se désagrège en fine poussière, fine poussière

Ils étaient dehors. Je fouillais dans les poubelles. Je me sentais déphasé et sans avenir, je ne voyais pas ce que j’aurais pu faire d’autre. La seule issue était le sous-sol, j’avais repéré la trappe, je l’ai soulevée... Cela m’a donné un sens pratique qui j’imagine peut être utile en cas de menus incidents (panne d’électricité, plomberie, etc.) / Femme quarante ans div souhaite rencontrer H pour moments coquins / infirmière trente-cinq ans mal mariée rencontrerait monsieur pour dévorer ts plaisirs de la Vie / dame soixante ans sérieuse rech compagnon pr partager fin de vie heureuse / Elle s’est laissée embrasser et a renversé la tête en offrant son corps à son amant qui a entrepris de dégrafer son soutien-gorge. Je me suis glissé dans le conduit souterrain, j’ai rampé sur une dizaine de mètres pour déboucher dans une cave. J’ajoute que je travaille à une adaptation cinématographique de cette histoire.

Ils étaient quatre fantômes
en route
vers les régions infernales
de leur conscience

Le cimetière raconte l’Histoire entre les allées gazonnées mais l’herbe a poussé et seules restent les fleurs artificielles. La fille était noire, je l’avais deviné à sa voix, elle était allongée sur le côté, nue. Mes parents étaient inquiets de cette situation, ils étaient pourtant responsables, ils n’avaient rien fait pour changer le monde sinon se laisser pousser des fleurs dans les cheveux et imaginer un avenir radieux. J’avais même connu un ingénieur en physique nucléaire qui vendait des lunettes de soleil à la sauvette. Comme l’hiver durait toute l’année en ce temps-là, le type était mort de faim. Oui, mort de faim.

Le soleil n’était plus à vendre. Nooooooon, le soleil n’était plus à vendre.

Je me suis approché, j’avais pris les précautions nécessaires, sur les murs des tableaux indiquaient la direction à suivre, des animaux équarris dans des positions invraisemblables. Ce poste m’intéresse particulièrement et j’espère avoir l’occasion de vous rencontrer prochainement afin de vous convaincre de ma capacité à occuper parfaitement celui-ci. Il plie son journal et sa main tremble, il fait peur aux femmes, il le sait, peut-être perçoivent-elles le dégoût qui le ronge, pourtant elle est de bonne humeur aujourd’hui, sans doute en période féconde, saturée d’hormones, son corps souple s’étire et elle sourit à ce drôle de type malgré son air de mort-vivant.

Hier encore les paysages portaient l’arc-en-ciel avec sérénité
les oiseaux partageaient l’espace avec les nuages
c’était avant les aéroplanes et les déodorants aérosols
c’était avant le rétrécissement de l’horizon et les orages de particules.

Nous marchions le long de la rivière, les empreintes de nos pas étaient destinées aux archéologues du futur, toute ma scolarité avait été une longue torture, le cordon ombilical enroulé autour de mon cou me faisait comme une écharpe sanglante. La ville se dressait contre le ciel, je savais qu’il n’y avait plus grand-chose à espérer, la télévision organique avait fait son apparition, elle diffusait ses programmes à l’intérieur de nos propres rêves, Ils affirmaient que c’était là un progrès pour l’humanité. J’ai remis mes jumelles dans leur étui et je me suis dirigé vers une termitière, j’ai versé toute l’essence et j’ai allumé la mèche.

Il y avait la fille sans visage au corps usé il y avait
du sang et de la merde qui coulaient de son anus le long de sa
jambe maigre
Un trou béant un amas de chair
rose et sanguinolente enfin il y avait
La Mort

Par ailleurs je possède un niveau de conversation courante en anglais, que j’entretiens à travers mes voyages et la lecture d’auteurs anglo-saxons. Elle : lit un roman facile avec une fin prévisible, moins de deux cent pages, Lui : parcourt un journal économique réputé sérieux mais en réalité s’intéresse aux annonces de rencontres particulières, page trente-deux. Cette voix, au téléphone, comporte une charge sensuelle indéniable. Les appartements sont désormais habités par des postes de télévision de toutes dimensions qui cohabitent avec les robots ménagers et les systèmes d’évacuation connectés au réseau d'égoût collectifs. Il y a tous ces chômeurs dans les rues, des gens qui possèdent des CV interminables et qui vous cirent vos chaussures et vous nettoient le pare-brise. La secrétaire a la peau caractéristique des irradiés de la troisième génération.

Les chiens sont autorisés à franchir la limite
Les automobiles sont devenues intelligentes
Les humains sont garés dans les parkings souterrains

Nous fabriquions des cabanes avec des morceaux de carton et de plastique, il y en avait des quantités sur la décharge. Le long de la voie ferrée les excréments jonchent les rails, le train est déjà loin tandis que le préservatif maculé de sang échoue entre les traverses. Le feu passe au rouge puis au vert et ça recommence. Ma formation de documentaliste m’a apporté une bonne maîtrise de l’outil informatique, qu’il s’agisse de traitement de texte (Word, Claris Works, Apple Works) ou de base de données (Hypercard). Je suis donc parfaitement à même d’accueillir une clientèle étrangère. (Ses quatre mains lui permettent de taper avec efficacité sur le clavier de son ordinateur).

(Nuage radioactif.)(Nuage radioactif.)


photo RT-traitement machine RT

Ce roman, que j’ai voulu traiter sur un mode irréaliste, comme un hommage à l’un de mes grands maîtres Richard Brautigan, contient en réalité une grande part d’éléments autobiographiques et il est vrai que j’ai renoncé à beaucoup de choses pour écrire.

Les tunnels sont des nuits factices qui durent quelques secondes.

Le tremblement de sa main s’est accentué lorsqu’il descend sur le quai, un homme cherche quelqu’un dans la foule, quelqu’un qui lui rappelle un héros de cinéma, par pitié, un héros, de cinéma. Je vous prie d’agréer, mon lieutenant, l’expression de mes respectueuses salutations. Et aussi d’acheter un pavillon en banlieue et une conduite intérieure. Et de baiser sans préservatif jusqu’à ce que j’arrive. Je me suis présenté par le siège, il est très grand, il a un air désespéré et romantique. Les souvenirs étalés sur le buffet du salon : photographies d’enfants en sourires forcés, une certaine idée du bonheur, quelque chose de printanier, le reflet de la lumière solaire sur leurs cheveux blonds.

Tous les jours des migrations à heure fixe
les repas obligatoires aux heures obligatoires
Les humains achèvent leurs jours dans les plateaux-repas environnés de pommes rissolées, d’antioxygène et de conservateurs

Le ciel est le même d’un bout à l’autre, seuls les nuages donnent une impression de mouvement. J’ai grandi dans un monde qui perdait ses illusions, les grandes surfaces gagnaient sur les forêts, les poulets perdaient leurs plumes et s’auto-cuisaient au stade ultime de leur croissance, les êtres humains ne vivaient plus en couple en dehors des périodes de reproduction.

Avec son couteau planté
au beau milieu
de la poitrine

J’utilise également l’Internet au quotidien, que ce soit pour des recherches liées à l’écriture, ou pour mon courriel (pour entretenir le désir je possède une liste interminable de sites pornographiques que je peux vous communiquer sous quarante-huit heures). J’ai d’ailleurs reçu un certificat d’aptitude à l’enseignement délivré par les autorités militaires, ainsi que la médaille de bronze de la défense nationale et le grade de sergent. J’ai rempli le formulaire d’inscription pour le tronc commun et l’attestation sur l’honneur qui stipulait que je devrais, une fois mon diplôme obtenu, défendre le droit et la justice. L’effet a été immédiat, un fou-rire m’a saisi, je savais que c’était interdit, que je risquais le recyclage, que j’avais franchi la frontière.
Mon profil correspond en effet à ce que vous recherchez. Lui : trois cartes de crédit, un prêt immobilier, un véhicule fiscalement avantageux, lisez de petite cylindrée et de moins de trois ans. Elle : un avortement à dix-sept ans, une décoloration toutes les trois semaines, un appartement de quatre-vingt dix mètres carrés en centre ville en pleine propriété. Ils sont assis dans un compartiment à grande vitesse. Je postule par la présente à l’offre d’emploi citée en référence ci-dessus.

Tout juste sortis de l’animalité
obsédés par l’éclat du soleil et le mouvement des planètes
dévorés par le monstre
à gueule de magma

Je dois dire que mon travail était apprécié de mes supérieurs. On avait retrouvé son cadavre dévoré par les loups au petit matin, à l’entrée de la ville. J’avais froid dans ma cabane de plastique et de carton, il faisait plus froid encore dans les amphithéâtres, les étudiants prenaient des notes pelotonnés dans des couvertures de survie argentées. Nous nous sommes installés dans un coin où la couche de papiers gras avoisinait les cinquante centimètres. Bien évidemment, ma présentation est soignée et j’y attache une grande importance.

Entrailles disloquées
coups de griffes
brise les os et arrache
les membres

Je me décide à vous adresser cette histoire, espérant qu’elle présentera quelque intérêt pour vous. Les cheminées veillent sur la ville et crachent leur fumée (1991-1993). Les automobiles passent leurs vacances au bord de la mer. Toutes choses ayant oublié la race humaine.

Le Havre-Aix-en-Provence,
décembre 2003-mars 2009.

copyright Richard TABBI 2009 - texte déposé - droits réservés.


photo JJ - traitement machine RT

samedi, mars 14, 2009

FAITES MONTER...



Alain BASHUNG (1er décembre 1947 - 14 mars 2009)

Les impasses
Les grands espaces
Mes bras connaissent
Mes bras connaissent (...)
(Alain Bashung-Jean Fauque)

dimanche, mars 08, 2009

UN NOUVEAU ROMAN


Non pas que le feu sacré m’avait quitté, non
mais je dois avouer que la naissance de mon fils
a ranimé certaines braises
Il y a les tétées, la toilette
et les moments magiques
où je nettoie son petit cul étoilé
Il y a ces sourires qui me transportent
et ces pleurs qui me bouleversent
Il y a son rire aux éclats
lorsque j’imite le phacochère cacochyme
Il y a son sommeil d’enfant
sur lequel je veille
en écrivant des poèmes, des romans, des chroniques
Je vous le disais
il a rallumé certaines braises.

Quant à ma femme
elle aime toujours autant
lorsque je traverse la ville à vive allure
avec “Sympathy for the devil” au volume maximum
ou “Paint it black”.
Le temps passe
et nous restons les mêmes.
Un couple clandestin sur les routes de l’Europe.
Le temps passe
et nous sommes devenus d’autres personnes
- des parents - mais nos pensées sont toujours sur la Route
et nos actions sont toujours tournées vers l’horizon
et le Soleil Levant reste le point de mire de nos vies
et notre fils est la plus belle de ses sculptures et le meilleur de mes livres.

Lorsque j’écris, je n’ai plus le choix
je me dois d’être à leur niveau.

Richard TABBI, 23 février 2009