mercredi, mars 05, 2008

LE CORBEAU BLANC, d'ANDRZEJ STASIUK : l'Est, j'y reviens toujours...


Andrzej Stasiuk, né en 1960, appartient à une nouvelle génération d’écrivains polonais, pour partie héritiers d’auteurs essentiels tels Tadeusz Konwicki (né, lui, en 1926). L’absurdité glaçante du monde de Konwicki enseveli sous la chappe de plomb du totalitarisme communiste a enfanté des fantômes qui continuent de hanter la Pologne après la chute du rideau de fer.
On retrouve dans Le Corbeau blanc cinq trentenaires aux prises avec les années 90. Années de passage, livre de passage, ouverture des frontières imminente, le livre, justement, se situe à la frontière Sud de la Pologne, dans les montagnes, le froid, la neige, l’attente. Le prétexte : aucun. Une expédition absurde menée par cinq types fatigués de boire et de fumer au bout de la nuit à l’ombre du palais des peuples, dans cette Varsovie qui cloue les rêves des jeunes hommes. Il faudra résister, devenir maquisards. Résister à qui ? À quoi ? Wasyl Bandurko n’a pas la réponse, pas plus que Le Petit, Le Jars, Kostek ou le Narrateur.
L’absurdité qui est à l’origine de l’expédition en devient le nœud : le meurtre d’un garde-frontière, sans raison, parce qu’il neige, qu’il fait froid, parce ce qu’il faut RÉSISTER. Fuir, se planquer, les longues heures d’inactivité dans l’air glacial sont autant de moments où la mémoire ressurgit, car lorsque le présent s’effondre dans le non-sens, que reste-t-il sinon la mémoire ? Le Narrateur recompose ainsi les pièces du puzzle, l’origine du petit groupe, l’école primaire, Wazyl, le riche, dont la mère est membre du parti, Wasyl l’homosexuel, d’abord rejeté, brimé, puis devenu le “chef”, les autres, Le Jars, Le Petit, les premiers émois sexuels, les premières putains, les premières cuites, les maladies vénériennes, les cuites à n’en plus finir, l’absence d’espoir, les journées brûlées à fumer des “popularne”, l’entrée dans le monde du travail, le mariage, tout ce qui les a menés là, dans ces montagnes, à s’ennivrer une dernière fois dans une fuite éperdue vers une frontière qui n’est autre que celle de la mort.

Richard F. Tabbi - droits réservés

Andrzej Stasiuk, Le corbeau blanc, traduit du polonais par Agnieszka Zuk & Laurent Alaux, éditions Noir sur Blanc, Lausanne, 2007.

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