jeudi, janvier 22, 2009

DE LA LITTÉRATURE POUR LES SIÈCLES À VENIR : petite sélection de (bons) livres lus en 2008

Pour cette petite sélection de livres lus en 2008 j’ai retenu le meilleur, aucun intérêt à parler des mauvais livres, ou alors autant en faire un programme, cela à condition d’avoir le talent de Pierre JOURDE et d’Éric NAULLEAU. Je les ai classés par ordre alphabétique, on est pas aux Césars ou à la Starac’, encore moins au Goncourt ou au risible prix de Flore. D’ailleurs ces chroniques NE TIENNENT AUCUN COMPTE DE L’ACTUALITÉ LITTÉRAIRE, et je tiens à mêler les grands classiques (entendons-nous, pour moi “Jouer du piano ivre comme d’un instrument de percussion jusqu’à ce que les doigts saignent un peu” du grand Charles BUKOWSKI est un grand classique) à certains opus parus à la rentrée littéraire, pour peu qu’ils me donnent l’impression d’avoir une épaisseur suffisante pour résister au Temps (entendons-nous, par épaisseur suffisante j’entends parler de qualité littéraire, ainsi le petit livre de Didier SÉRAFFIN, “Un enfant volé” a-t-il une vraie épaisseur, et au passage merci au Stalker pour ses précieux conseils), au contraire des interminables pavés d’un Dan Brown bien chétifs en réalité et aussitôt oubliés à l’issue de la lecture de la dernière page standard.

On commence donc avec Paul AUSTER : “La nuit de l’oracle”, déjà chroniqué dans ce blog. “Il y a des livres que l’on aimerait avoir écrit, ils ne sont pas si nombreux, pour ma part “La nuit de l’oracle” en fait partie. Sidney Orr est écrivain, vit à Brooklyn, et se remet difficilement d’un grave accident de santé. Encore faible, il entre par hasard dans une papeterie tenue par un étrange Chinois (Mr Chang, ça ne s’invente pas) qui lui vend un non moins étrange cahier portugais bleu. Orr n’a plus écrit depuis de longs mois, il est convalescent, sujet à des saignements de nez fréquents, pour tout dire il revient d’entre les morts, un miraculé, pas encore tout à fait vivant. Lorsqu’il rentre chez lui il est littéralement absorbé par le cahier. Repensant à une idée de roman suggérée par l’un de ses amis écrivains (John Trause) (l’histoire d’un homme qui échappe à la mort et qui décide de reprendre sa vie à zéro en disparaissant, anecdote tirée d’un roman de Dashiel Hammett), Orr se met au travail et l’histoire naît sous ses doigts avec une facilité déconcertante...” Pour plus de détails je vous renvoie à la note idoine.
Si Paul AUSTER est le plus européen des écrivains américains, dans son cas cela n’a rien d’un handicap, tant l’aspect cérébral et la volonté de s’inscrire dans la Grande Histoire ne le cèdent en rien à la puissance romanesque. À votre avis, pourriez-vous lire cette phrase dans un numéro 1/ des Inrockuptibles ? 2/ de Télérama ? 3/ de l’Humanité Dimanche ?


Poursuivons avec “Factotum” et “Jouer du piano ivre comme d’un instrument de percussion jusqu’à ce que les doigts saignent un peu” de Charles BUKOWSKI. Je ne saurai que trop conseiller l’achat des trois volumes parus chez Grasset qui contiennent quasiment tous les écrits de BUKOWSKI traduits en français : le volume 1 : “CONTES & NOUVELLES”, le volume 2 : “ROMANS”, enfin le troisième : “JOURNAL, SOUVENIRS & POÈMES”. Avec ça et la Bible vous serez parés pour l’éternité, que vous la passiez sur une île déserte, dans un bordel vietcong de Los Angeles ou collés au plafond transformés en punaise hémophile.
“Factotum” est le récit de l’errance de BUKOWSKI durant les années où il collectionnait les petits boulots pour survivre. Tassé dans un meublé avec de la bière ou du mauvais vin, son double Chinaski écrit la nuit des nouvelles en général refusées. Ivre, pauvre, en manque de sexe, Chinaski sue le sang de l’humanité, immolé sur l’autel de la société des winners. “L’orchestre crépitait et tapait. Darlene s’est retournée. Elle a arraché les perles. J’ai regardé, tout le monde regardait. On voyait sa toison à travers le voile couleur chair. L’orchestre lui secouait le cul. Et je ne bandais pas.” Voilà ce qui s’appelle une FIN.
Quant à “Jouer du piano ivre etc.” il s’agit d’un recueil de poèmes, “les poèmes sont assis là / comme des gangsters / et tirent dans mes fenêtres / bouffent mon papier toilette (...)” C’est une manière d’antidote aux livres de Dominique de VILLEPIN. Autant les textes de BUKOWSKI sentent la sueur, la merde, l’entrejambe, les arrière-cours pisseuses et la graisse des chaines de montage, autant l’univers artificiel de VILLEPIN, n’exhale rien d’autre qu’un intérieur bourgeois où la table est mise sur une nappe blanche amidonnée, soit un ennui profond malgré les velléités de cavalcade et de post-romantisme échevelé. Tout juste notre politicien-poète (ou poète-politicien, ou pouet-pouet) suscite-t-il un sourire amusé : “L’homme par le poète ainsi tiré plus haut grandi d’hemorragies (???), ennobli de folles colères (ah ah) et de noirs tourments, homme de rages contagieuses (ah ah ah), reçoit de plein fouet l’injonction : “N’apaise pas, fomente !” (ah ah ah ah ah ah ah) (extrait de “Éloge de voleurs de feu” cité par P. JOURDE & E. NAULLEAU, les ??? et les ah ah ah sont de moi pour ceux qui se posent encore la question à cette heure avancée de la nuit). OK, chers lecteurs de ce blog, donc vous vous remettez juste de la lecture (pénible) de Gallouzeau de Villepin, respirez à fond et prenez-donc ça dans la gueule : “(...) vous partez vite je lui ai répondu / et à propos / oubliez ces conneries que j’ai racontées sur / Dos Passos. ou était-ce / Mailer ? il fait chaud ce soir / et la moitiée du quartier est / bourré. l’autre moitié est mort. / si j’ai un conseil à donner sur la / poésie c’est : / n’en écrivez pas. je vais me faire monter / du poulet frit. (C. Bukowski, Interview, dans Jouer du piano ivre...). Voilà, ça devrait suffire.

OK, let’s stay in Los Angeles. J’ai terminé l’année en lisant “Le Grand Nulle Part” de James ELLROY, ce qui n’est pas conseillé lorsque votre femme attend un enfant, que la valise est prête, et qu’elle risque d’accoucher d’un jour à l’autre. 639 pages en immersion totale dans le Los Angeles des années 50 et quelques rencontres marquantes tels un tueur en série homosexuel, saxophoniste et passionné par les gloutons (l’animal, je précise pour les lecteurs de Dominique de Villepin et ceux de Roger Hanin), l’adjoint Danny Upshaw, flic / infiltré / homo qui s’ignore, de vieilles connaissances aussi pour les habitués de l’univers d’ELLROY, ainsi retrouve-t-on le Rollo Tomasi de “LA Confidential” avant sa promotion, l’Ordure Irlandaise Dudley Smith, le cinglé Howard Hawks, et le Sympathique Salopard “Buzz” Turner Meeks qui entame sa rédemption et finira bien par chanter dans le Chœur des Anges si le monde tient jusque-là. Bref, la police de Los Angeles est toujours aussi gangrenée et pourrie, la zone l’est plus que jamais, le be-bop pulse, Mickey Cohen et Jack Dragna se tirent la bourre, et les tueurs en série sont toujours plus inventifs, en voilà un qui s’est fabriqué une mâchoire d’animal (lequel ? Relisez attentivement vous aurez la réponse - note pour les lecteurs déprimés suite à la lecture de l’extrait de D. de Villepin) pour boulotter les homos qu’il flingue par injection de dope, le tout sur fond de cinéma hollywoodien et de mac carthysme effréné. Bref, un livre qu’ACT UP risque de ne pas apprécier. Du grand ELLROY.

Joseph HELLER : “Catch 22”. Quand les Marx Brothers rencontrent Louis-Ferdinand Céline, cela donne l’un des livres les plus terrifiants / hilarants jamais écrits sur la guerre. Joseph Heller a participé à la Seconde Guerre Mondiale, avec notamment à son actif 60 missions de bombardement sur la Corse et l’Italie. Autant dire qu’il sait de quoi il parle, autant dire que son (anti) héros Yossarian rappelle irrésistiblement le Ferdinand Bardamu du “Voyage au bout de la nuit” lorsqu’il déclare que sa “seule mission quand il s’envole est de revenir vivant”. Dans le monde absurde de Joseph Heller la guerre fait rage partout, y compris au sein de l’armée américaine, commandée par des officiers supérieurs bornés et avides de gloire personnelle, ainsi le colonel Cathcart, ou mus par l’avidité, ainsi Milo Minderbinder qui passe un marché financier avec les Allemands pour faire bombarder ses propres troupes et en tirer ainsi un substantiel profit. Tous sont terrifiés, lâches, stupides, obsédés, alcooliques, tels Grand Chef Pâle-Avoine, Hungry Joe, le Major Major, le lieutenant Sheisskopf (Tête de Merde), sans oublier le Soldat en Blanc, plâtré des pieds à la tête, dont on ne sait s’il est encore vivant... Yossarian déambule au milieu de tout ça, en plein ciel tentant d’éviter les obus de la DCA allemande, dans les bordels de la Rome occupée, à l’infirmerie, prétextant son foie malade pour se faire renvoyer en Amérique. Yossarian déambule au milieu de tout ça, à poil, parce ce que c’est la seule manière de ne pas porter l’uniforme...

Thierry JONQUET est l’un des maîtres du roman noir français. J’ai déjà chroniqué “Mygale” dans ce blog, “Les orpailleurs” est l’un de ses romans les plus aboutis. Le meurtre inévitable qui ouvre le livre, loi du genre oblige, entraîne les enquêteurs sur la terre qui, hélas, a vu se matérialiser la Solution Finale, la Pologne. Obsédé par les métastases du nazisme, persuadé que le meurtre industriel mis en œuvre dans les Camps constitue l’An Zéro de l’Histoire contemporaine, j’ai trouvé dans ce livre de Thierry JONQUET la confirmation que le polar est un scalpel singulièrement adapté à la dissection de l’humanité et à ce propos, croyez-moi, vous en apprendrez plus dans les romans publiés dans la Série Noire que dans les œuvres complètes d’Anna Gavalda et de sa petite sœur. Alors mettez gants et masque parce que ça gicle et ça pue, et entrez dans le bloc opératoire.


Pierre JOURDE & Éric NAULLEAU : “Précis de littérature du XXIeme siècle”. Sans doute le plus grand plaisir de lecture cette année. Hilarant. Tout simplement hilarant. Et terrifiant. À la lecture de ce livre vous pourrez légitimement vous demander, extraits et commentaires à l’appui, comment il est possible que des gens tels que Marc Levy, Christine Angot, Philippe Labro, Madeleine Chapsal, Florian Zeller et compagnie aient pu seulement être publiés, si ce n’est en raison d’un carnet d’adresses bien garni, de services rendus, de retours de couches, de couchonneries et autres intrigues charcutières parisiennes hélas familières du siècle. Ah, oui, il y a aussi Camille Laurens, Bernard-Henri Levy, Marie Darieussecq, Emmanuelle Bernheim, Alexandre Jardin et d’autres encore. Dans un joyeux festival de vacuité et d’indigence stylistique. Voyez-vous, à relire certaines phrases d’Anna Gavalda ou de Philippe Sollers on trouverait presque du talent à Grand Corps Malade. Bien sûr, le terrifiant vertige de la lecture passé, on se ressaisit, mais putain, on n’est plus tout à fait soi-même après de telles... choses, on pense à certaines répliques des Tontons Flingueurs : “On a dû arrêter la production, certains clients devenaient aveugles...”, on pense à couper le gaz, à sortir au soleil pour respirer cinq minutes... Prophylactiquement je conseille d’ouvrir les œuvres complètes de CÉLINE au hasard ou de prendre un laxatif.


Bertrand LATOUR n’en est pas à son coup d’essai. “Un milliard et des poussières” est un livre qui a secoué la rentrée littéraire, qui l’a tirée de sa léthargie et de ses petits comptes : combien va vendre Angot ? Combien d’éjaculations dans le nouveau Catherine Millet ? Le dernier Nothomb est-il un bon cru ? Autant de questions oscillants entre la vacuité et... la vacuité. Pour ceux qui ont besoin de substance il y a la vie trépidante de Jules, chauffeur pour “le plus grand palace du monde”, qui trimballe dans sa Mercedes tout ce que la planète compte de gens de pouvoir, milliardaires en mal de coke ou de putains, rock stars, emmerdeuses et emmerdeurs de tous poils (on y trouve même Carla Bruni), tout un échantillon d’humanité, celle dont les comptes en banque portent des chiffres dont vous ne pouvez même pas rêver. C’est là tout le fond du livre, la confrontation entre un chauffeur middle-class qui sue sang et eau pour quelques malheureux Euros et ces légions d’extraterrestres qui n’ont qu’à péter pour être un peu plus riches. Jules est amoureux, sa compagne veut un enfant, Jules ne veut pas être le père pauvre d’un enfant pauvre. Il tombe donc dans la combine de la pute ukrainienne. Pendant ce temps Kate Moss et Pete Doherty s’envoient des tombereaux de coke sur la banquette arrière, les richards partouzent dans les hôtels particuliers de Neuilly et les singes font risette à ce pauvre Jules. Le monde tourne encore, pas très rond, mais il tourne encore. À lire d’URGENCE.

Cormac MAC CARTHY : “La route” : J’ai rédigé une note à propos de ce grand livre dans ce blog. Un petit extrait pour vous la remettre en mémoire : “Le ton, la couleur, sont donnés d’entrée. Ce sera comme une longue phrase qui n’en finit pas dont les points ne constituent pas des bornes mais des trous noirs qui aspirent et renvoient inlassablement vers la suite jusqu’à la fin - car c’est un livre qu’on lit d’une traite, un livre qu’on ne peut lâcher, qui vous happe -. Ce sera gris, parce que la cendre recouvre désormais le monde, parce que le temps des couleurs est révolu, parce que l’on est engagé dans un long tunnel blafard et que l’on peine à respirer. Une homme pousse un caddie de supermarché sur une route. À ses côtés un enfant - son fils-. Dans le caddie il y a tous leurs biens, tout ce qu’ils ont pu sauver, grappiller, trouver dans les ruines des cités des hommes désormais désertes.”

Jean-Patrick MANCHETTE : “L’affaire N’Gustro”, “Nada”, “Le petit bleu de la côte Ouest”, “La position du tireur couché”. J’ai découvert JP MANCHETTE l’année dernière et je me suis attaché à explorer plus avant l’œuvre de cet immense auteur de romans noirs, dont beaucoup ont été adaptés au cinéma. Il y a du CÉLINE et du AUDIARD dans la prose de MANCHETTE, sauf qu’à l’inverse de CÉLINE, MANCHETTE n’a jamais pu écrire des dizaines de milliers de pages par roman et retravailler ses textes comme il l’aurait voulu. Il s’est efforcé de vivre de sa plume et s’est quasiment tué au travail, mais il a laissé une œuvre immense qui vivisectionne la France des années 60-70, peuplée de personnages inquiétants, largués, et pour certains sans histoires et balancés malgré eux dans des histoires politico-mafieuses invraisemblables. Un grand monsieur.

Andrzej STASIUK : “Le corbeau blanc” : encore un livre chroniqué dans ce blog. Extrait : “On retrouve dans Le Corbeau blanc cinq trentenaires aux prises avec les années 90. Années de passage, livre de passage, ouverture des frontières imminente, le livre, justement, se situe à la frontière Sud de la Pologne, dans les montagnes, le froid, la neige, l’attente. Le prétexte : aucun. Une expédition absurde menée par cinq types fatigués de boire et de fumer au bout de la nuit à l’ombre du palais des peuples, dans cette Varsovie qui cloue les rêves des jeunes hommes. Il faudra résister, devenir maquisards. Résister à qui ? À quoi ? Wasyl Bandurko n’a pas la réponse, pas plus que Le Petit, Le Jars, Kostek ou le Narrateur.”


Didier SÉRAFFIN : “Un enfant volé”. L’une des belles surprises de cette année, un grand livre, très court et très dense (134 pages), paru chez un “petit” éditeur (PHILIPPE REY) qui a du nez et du goût. Le Stalker a justement établi un parallèle entre ce livre et “La route” de MAC CARTHY, je ne saurai que trop renvoyer à son blog. Pour résumer en quelques mots le personnage principal débarque un soir dans une ferme isolée et assassine le couple qui l’occupait. Il découvre un bébé et l’emmène avec lui sur la route, dans une France que l’on reconnaît à peine, dans des paysages enneigés, dans la lueur des réverbères des villes brumeuses. L’homme et l’enfant vont croiser le chemin d’un cirque ambulant et se mêler aux artistes nomades et aux fauves, l’errance hante ces pages tel un motif obsédant. La chair, la lumière et la mort, voilà peut-être les trois mots qui résument ce livre bouleversant.

FX TOOLE : “Million Dollar Baby”. Un livre de plus chroniqué : “F.X. TOOLE est le pseudonyme de JERRY BOYD (1930-2002), entraîneur de boxe, son livre a été salué par James ELLROY, rien de moins, grand amateur de boxe devant l’éternel. Sans doute faut-il vivre avant d’être écrivain, ce qu’a fait Boyd. Le résultat est colossal. Chacune des six nouvelles est un modèle du genre, essayez de tenir dix pages sur un combat de boxe, du premier au douzième round (“Combattre à Philly”). Vous êtes là, sur le ring, à prendre des directs en pleine tête, chaque mot vous défonce l’estomac, chaque virgule vous rentre dans les côtes. Vous êtes loin du pays où les écrivains détaillent les contours de leur nombril, et c’est délicieux. Bien sûr, la nouvelle éponyme, l’histoire de Margaret Mary Fitzgerald, adaptée au cinéma par Clint Eastwood, vous tirera des larmes. La tragédie rôde autour du ring, comme à chaque fois que les hommes - et les femmes - mettent leur vie en danger.”

Olga TOKARCZUK : “Récits ultimes”. Olga TOKARCZUK est l’une des romancières contemporaines polonaises les plus traduites. Née en 1962 elle incarne la nouvelle littérature de l’Est. Ce livre réunit trois novellas, trois voix de femmes, Ida, Parka, Maya confrontées au temps et à la mort, dans la solitude des montagnes polonaises, sur une île de Malaisie... Un livre à l’écriture classique, féminine, qui vous prend au fur et à mesure de la lecture. Recommandé pour les lectrices insensibles aux défécations bukowskiennes comme Michelle Levy, par exemple.


“Biographie comparée de Jorian MURGRAVE” est le premier roman publié d’Antoine VOLODINE , celui qui inaugura le post-exotisme. On tend à classer VOLODINE dans la science-fiction, et effectivement il est question d’entités extra-terrestres, de guerre des mondes, de formes de vie étrangères à l’humanité. Mais rappelons-nous que la (bonne) science-fiction nous parle toujours de notre présent, ainsi en est-il pour “1984” d’ORWELL (représentons-nous le monde effrayant qui se mettait en place à l’Est en 1948) ou du “Meilleur des mondes” d’HUXLEY paru dans les années 30, alors même qu’un cinglé moustachu accédait au pouvoir en Allemagne en 1933 avec dans ses valoches les pires thèses eugénistes. On sait ce qu’il en advint. VOLODINE dans son œuvre nous parle de manière récurrente d’une Révolution planétaire, de Camps de rééducation, les personnages portent des noms mongols, américains, peu importe. Jorian Murgrave est une entité issue d’une race exo-planétaire, il hait l’humanité, il est venu semer un peu plus le chaos dans un monde qui est déjà passablement chaotique. Traqué, il disparaît, reparaît, meurt, renaît, aux épisodes confinés dans une forteresse-prison contrôlée par de terrifiants gardiens succèdent les attaques du Murgrave contre les villes des hommes. Les romans de VOLODINE ne ressemblent à rien de ce que vous connaissez, imprégnés de chamanisme à l’instar de ceux d’un PELEVINE, on ne sait si l’on passe d’un rêve à l’autre, d’une réalité à une autre, la déstabilisation est perpétuelle, la mort rôde partout. D’ailleurs, qui sait si ces livres n’ont pas été écrits depuis un point déjà au-delà de la vie, un entretemps qui préfigure l’absorption par le néant ? VOLODINE dit “pratiquer la littérature comme un art martial”, effectivement, son art est celui du guerrier qui, à l’inverse de ceux qui impriment indéfiniment les mêmes recettes faisandées, choisit l’effet de surprise perpétuel, l’esthétique de l’effroi et la rigueur d’une écriture acérée telle la lame d’un sabre d’acier damassé.


Né en 1931, Tom WOLFE fut le précurseur du “nouveau journalisme”. Dandy sanglé dans son éternel costume blanc, conservateur pro-Bush, américain de surcroît, il a tout pour énerver nos petits amis des Inrockuptibles et de Libération. D’autant que ses romans sont autant de joyaux, et que son “Bûcher des vanités” a été un succès planétaire. Dans la France branchée le succès énerve, c’est bien connu. Bref, je ne saurai que trop recommander les deux livres de WOLFE que j’ai dévoré en 2008 : “Acid test”, et “L’étoffe des héros”.
“Acid Test”, d’abord. Pour un cinglé comme moi de Kerouac, et donc par ricochet traquant toute information afférente, et donc tout ce qui concerne Neal Cassady, ce livre était une évidence. Parce qu’il inclut la dernière page de l’épopée Cassady. Et aussi parce que le protagoniste principal de la geste, Ken Kesey, n’est autre que l’auteur de “Vol au-dessus d’un nid de coucou”, autre livre qui m’a rendu cinglé à une époque, autre jalon dans l’étude de la schizophrénie contemporaine. Résumons. Le début des années 60. L’explosion du LCD et du rock psychédélique. Les Beatles, Jimi Hendrix, et, bien sûr, le Grateful Dead, entre autres... Les Hell’s Angels, la Guerre du Vietnam, et Timothy Leary, le SCIENTIFIQUE et toute cette prose sur l’OUVERTURE DE LA CONSCIENCE. Demandez à vos parents ou à vos grands parents, les chemises en daim, les bottes à frange et les partouzes qui élargissent le karma. LES ANNÉES SOIXANTE. Tom WOLFE a plongé là-dedans jusqu’au cou, il a suivi Kesey dans sa quête, il a joué les scribes, il est l’une des mémoires de cette invraisemblable épopée de l’acide à travers les États-Unis. Kesey et ses Merry Pranksters (les “Joyeux Lurons”) embarqués dans un immense bus jaune gorgé d’acide, de musique, et d’électronique, avec au volant LE Neal Cassady, le mec qui s’envoie une descente dans les montagnes sans mettre les pied sur le frein, alors que les autres cinglés jouent de la grosse caisse sur le toit, hurlent des imprécations, baisent dans les coins, et que la sono diffuse les dialogues des uns avec les autres DÉCALÉS DE QUELQUES SECONDES. QUELQUES SECONDES ? Tout y est, jusqu’à la rencontre avec un Jack Kerouac qui voit d’un mauvais œil ces beatniks crasseux aux cheveux trop longs et qui ne respectent pas assez, à son goût, le stars and stripes banner. Tout y est, Tim Leary dans son trip intello, Ken Kesey en cavale au Mexique, Mountain Girl, Marie La Noire, Le démolisseur, les routes d’Amérique, Frisco, un joyeux bordel, tout ça avant que le monde ne devienne vraiment grave et qu’on ne s’emmerde au point de s’intéresser aux élections présidentielles américaines.
Quant à “L’étoffe des héros”, on y retrouve ce souci du détail, et l’immense travail documentaire (WOLFE est un admirateur forcené de Balzac) qui font des romans de Tom WOLFE des récits à l’impeccable exactitude journalistique. Ici il s’agit de rien de moins que de la conquête de l’espace. Ou comment les héroïques pilotes de l’armée US dopés à l’adrénaline ont fini par être transformés en Singes Savants confinés dans une capsule pour les besoins de la Guerre Froide. Au lieu d’un manche à balai un thermomètre dans le cul, au lieu des vibrations d’un jet hypersonique qui étalonnait l’étoffe des pilotes le projet Mercury, médicalisé, mécanisé, électronisé, ne laissant au passager qu’une infime capacité d’action et de décision. Battre les Russes. C’était là l’obsession de la Maison Blanche. Au mépris de l’aristocratie des monte-en-l’air et de leurs joyeuses frasques alcoolisées et sexuelles dans le Ranch de Pancho Barnes. Quand je vous dit que le monde est devenu grave.

Paul AUSTER : “La nuit de l’oracle”, LGF, Paris, 2007 pour la trad.
Charles BUKOWSKI : “Factotum”, Grasset, Paris, 1987 pour la trad., “Jouer du piano ivre comme d’un instrument de percussion jusqu’à ce que les doigts saignent un peu”, Grasset, Paris, 1992 pour la trad.
James ELLROY : “Le Grand Nulle Part”, Rivages, Paris, 1989 pour la trad.
Joseph HELLER : “Catch 22”, Grasset, Paris 1985 pour la trad.
Thierry JONQUET : “Les orpailleurs”, Gallimard, Paris, 1998
Pierre JOURDE & Éric NAULLEAU : “Précis de littérature du XXIeme siècle”, Mango, Paris, 2008
Bertrand LATOUR : “Un milliard et des poussières”, Paris, Hachette, 2008
Cormac MAC CARTHY : “La route”, ed. de l’Olivier, Paris, 2008 pour la trad.
Jean-Patrick MANCHETTE : “L’affaire N’Gustro”, “Nada”, “Le petit bleu de la côte Ouest”, “La position du tireur couché”, in ROMANS NOIR, Gallimard, coll Quarto, Paris, 2005
Andrzej STASIUK : “Le corbeau blanc”, éditions Noir sur Blanc, Lausanne, 2007 pour la trad.
Didier SÉRAFFIN : “Un enfant volé”, ed. Philippe Rey, Paris, 2007
FX TOOLE : “Million Dollar Baby”, Albin Michel, Paris, 2005 pour la trad.
Olga TOKARCZUK : “Récits ultimes”, éditions Noir sur Blanc, Lausanne, 2007 pour la trad.
Antoine VOLODINE : “Biographie comparée de Jorian MURGRAVE”, Denoël, Paris, 1985
Tom WOLFE : “Acid Test”, éditions du Seuil, Paris, 1975 pour la trad., “L’étoffe des héros”, Gallimard, Paris, 1982 pour la trad.

c - Richard TABBI, janvier 2009.

3 commentaires:

Jean Argenty a dit…

Bon, allez, je tente l'huma Dimanche.

Bel effort que ta sélection, je l'ai parcouru, ça ma permis de me redire, tiens faut que je lise ça et ça et puis encore ça !

Volodine, par exemple, jamais lu mais ça va pas tarder.

Merci en tout cas de participer activement au sauvetage de ce qui reste d'humain sur cette planète.

TABBI richard a dit…

Merci Jean d'être encore une fois au rendez-vous de Zombie Planete. "participer activement au sauvetage de ce qui reste d'humain sur cette planète", peut-être le dernier combat ?
Amitiés

Unknown a dit…

super ton article, je trouve les critiques pleines d'humour et en même temps très pertinentes, (pour ce dernier je ne peux parler que pour ce que j'ai lu, comme Volodine, Bukowski ou Heller, pour le reste je te fais confiance:), en tout cas, ça me donne envie de lire les autres...)
je t'embrasse très fort
PS: à la prochaine grossesse je suivrai avec prudence tes livres de lecture...;)