mardi, novembre 25, 2008

MICKEY

Un texte publié il y a quelques années, déjà. Ma contribution à la dé-disneyification du monde... RT

Mickey conduisait comme un dingue. On avait pris l’autoroute et j’avais de drôles de picotements le long de la colonne vertébrale. Je priais pour que les types dans les hélicoptères ne nous repèrent pas, je commençais à être fatigué de toutes ces conneries. J’avais eu mon content de cellules pourries, de tabassages et de cafards. J’aspirais à la paix, et si possible pas derrière un grillage.
“Ralentis, Mickey, putain...”
Ses doigts gantés de blanc étaient crispés sur le volant. Il a ouvert le vide-poche et a sorti une cassette de Johnny Cash, ça faisait des années que j’avais pas écouté de country. Il a enclenché le truc et les cow boys se sont mis à parcourir la plaine à la recherche des filles de ferme, à raconter des histoires de cul dans la paille et la sueur, l’odeur du crottin, ce genre de choses.
“Hey Mickey, je te voyais pas écouter ces machins...”
“Ta gueule et fais-moi tirer une barre.”
Je lui ai tendu le joint qui se consumait entre mes doigts. Je ne croyais plus à cette panoplie obligée de stupéfiants, à vrai dire je n’avais plus guère d’inspiration. Mes bouquins se vendaient suffisamment pour que je ne foute plus grand-chose et je ne m’en privais pas. Je traînais au hasard, et j’avais une sorte de don pour m’embringuer dans des histoires que la tremblote et le manque de patience m’empêchaient désormais d’écrire.
Mickey m’a repassé le joint, ou plutôt il me l’a fourré dans la bouche, tandis qu’il sortait une flasque de sa veste et la tétait. Le bourbon coulait sur son menton.
“Alors Ostrowski, toujours peur des flics ?”
“Mickey, je n’ai pas peur. Je suis juste fatigué de toutes ces conneries.”
“Ah ouais ? T’es fini Ostrowski. J’ai lu tes derniers poèmes, c’est lamentable.”
“Écoute, c’est pas ton rayon, alors lâche-moi avec ça.”
“Putain, quand je pense que je lisais tes bouquins en une nuit. Maintenant, rien que de les voir, ça me fait dégueuler.”
“Les regarde pas, alors.”
“Putain, Ostrowski, réagit, MERDE !”
A ce moment, des coups ont retentit dans la bagnole. C’était la fille. La caissière de chez Disney. Notre otage.
“Hey, Mickey, peut-être qu’elle étouffe dans ce putain de coffre.”
“T’as raison, je vais aller lui faire quelques trous d’aération avec mon .38.”
“Connard.”
“Connard toi-même, Ostrowski, t’as plus de tripes, mec.”
Je commençais à être lessivé, je n’aspirais qu’à une chose : dormir. Au moins vingt heures d’affilée. Dans mes veines courait plus d’alcool que de sang. Mickey, lui, était à dix mille, et chaque minute qui passait semblait le rendre encore plus furieux.
“On s’en sortira jamais. Relâche-la. Tu t’en tireras avec cinq ans au maximum...”
“Hey Ostrowski, tu rêves ou quoi, mon pote ? Tu crois qu’ils vont se contenter de m’arrêter ? Ils vont tirer à vue, oui. Et tu le sais parfaitement.”
On aurait pu éviter ça. Je pensais à cette fille en uniforme règlementaire Disney, les oreilles sur la tête et tout, petite jupe, jeune, elle devait avoir dix-sept ans, pas plus, elle n’avait rien vu venir, elle avait commencé par un grand sourire qui mettait en valeur ses dents très blanches.
“Bonjour monsieur Mickey, vous n’avez pas l’air très...”
Elle n’avait pas pu finir sa phrase, Mickey lui avait tordu le bras, et devant les enfants à peine surpris il lui avait enfoncé son .38 dans la bouche.
“Maintenant tu viens avec moi, salope.”
La fille s’était mise à hurler et ça avait excité les gosses qui encourageaient Mickey en proférant des obscénités. Au début j’ai cru à un putain de numéro, je me disais chez Disney ils savent plus quoi inventer, des faux braquages, maintenant. Mais Mickey avait perdu son self-control, il avait mis un coup de crosse dans la tête d’un gosse qui faisait mine de l’aider à maîtriser la caissière en répétant niquez-la, m’sieur, niquez-la cette pute. J’aime pas trop les merdeux à cet âge-là, j’avais donc accueilli l’événement avec bonhomie, sans insister sur son caractère inhabituel.
Les choses se sont gâtées quand Mickey a tiré dans la foule et qu’un type a ramassé une bastos dans le bras. Il en a chialé dans sa barbiche crasseuse qui datait au moins des années soixante-dix. Mickey a gueulé ON SE TIRE ! Au loin les types du service de sécurité ont démarré leur manœuvre d’encerclement, les blindés commençaient à se déployer et l’aviation de chasse de Walt Disney traçait des sillons dans le ciel.
On a couru vers la bagnole, Mickey a fourré la fille dans le coffre, il m’a pris le volant d’autorité, j’ai juste eu le temps de grimper et il a démarré comme un vrai cinglé Le paysage s’est mis à défiler. J’étais plaqué contre le dossier de mon siège. Mickey transpirait, la fille martelait la tôle.
“Pourquoi tu fais ça, Mickey ? Merde, t’as aucune chance...”
Mickey a tourné vers moi son visage de souris mal dessinée, ses yeux étaient injectés de sang.
“Pourquoi Ostrowski ?”
J’ai aspiré une longue taffe. Ma tête me faisait mal. Tout tournait dans l’habitacle de la bagnole.
“Ouais, pourquoi, Mickey, POURQUOI ?”
“Je veux plus jamais travailler pour ce salaud de Walt Disney, Ostrowski. Voilà pourquoi. C’est le seul moyen, Ostrowski, le seul, bordel, pour échapper à tout ça.”
J’ai fermé les yeux. La fille cognait toujours dans le coffre.

Richard TABBI - Nouvelle publiée dans la revue
LES HÉSITATIONS D'UNE MOUCHE, septembre 2003

2 commentaires:

Unknown a dit…

Que c'est réjouissant de voir Mickey péter les plombs, mais, attention: après 80 ans de boulot chez Disney, ça donne un argument fort aux opposants de la reforme des rétraites... :) d'ailleurs, est-ce une pure coïncidence que ce texte apparaît à ce moment précis?...

Mais sérieusement, je suis très contente de trouver de nouveaux textes sur ce blog, je m'impatientais un peu...

TABBI richard a dit…

Hé bien, ô femme de ma vie, je dirai que c'est une nouvelle qui est plus philosophique que métapolitique, car comme tu le sais les membres du Chinaski Party se sentent peu concernés par l'âge de la retraite.
Cela dit, content que tu sois contente, et tu as raison, il me faut alimenter ce blog de manière plus régulière. That's my duty.